La grande régression du Disneyland de l’intimité

«Vous n’avez pas vu? Vous venez de passer sous une vulve géante!» Boomeuse, selon ses propres termes, mais toujours au fait des dernières luttes intersectionnelles, cette sympathique bénévole du festival «Viva la vulva» distribue des prospectus à l’entrée des Bains des Pâquis, ce vendredi de la mi-juin. Des familles avec enfants, des amateurs de nudisme ou des jeunes défilent devant elle, tantôt pour aller profiter du soleil, tantôt pour aller s’initier à la grande célébration des sexes féminins, parfois un peu des deux.

Car c’est un programme peu banal qui débute dans cette institution genevoise. Un programme, à vrai dire, qui a de quoi bousculer les certitudes d’un journaliste fraîchement débarqué de ses campagnes. Destiné à un public large, mais constitué de personnes «désireuses-x et amis-es-x des vulves», selon la documentation officielle, le festival conjugue le fun, le médical et le militantisme pour mettre le doigt sur tous les aspects sensibles de la sexualité féminine. Enfin, «dite féminine», selon une banderole à l’entrée, tant l’on comprendra bien vite que nos vieux cours d’éducation sexuelle ne sont désormais plus guère à la page. De fait, la question de la sexualité, si elle est récurrente (avec notamment un «café sexo» ouvert aux enfants dès trois ans), ne plane pas pour autant sur tous les sujets traités. Entre cabines, expositions ou ateliers, des surprises sont aussi au rendez-vous.

Quid d’un festival de la b…?

Dans un coin bibliothèque, un ouvrage se penche par exemple sur la gestion différenciée des pleurs de bambins en fonction de leur genre, prélude à une vie de discrimination pour les filles. Ailleurs, c’est la classification des sexes anatomiques qui est sous le feu des critiques – trop binaire, là encore – via des banderoles apposées sur du matériel de musculation urbaine: «C’est un peu la mauvaise surprise du festival», se lamentent quelques jeunes hommes parfaitement cisgenres, réduits à faire des pompes par terre pour gonfler leurs pectoraux. Un festival de la vulve, ils n’ont rien contre, cela dit, «mais moi je suis pour l’égalité, alors à quand un festival de la b…», lâche l’un d’eux en rigolant. Pas du tout amusée, une jeune femme au look assez radical rétorque, plutôt renfrognée: «C’est déjà tous les jours, le festival du pénis!» Elle poursuit son chemin, sa vérité étant sans doute trop définitive pour mériter la discussion.

L’ambiance, néanmoins, se révèle globalement très agréable, à condition de ne pas être chatouilleux sur le français overinclusif: à l’image, par exemple, de cette invitation à se montrer «attenti.f.ve.x» au moment de pénétrer dans Vulvita, une cabine transformée en «berceau de création, de nettoyage et de renaissance» grâce au travail de deux artistes. A condition, également, de ne pas être allergique au new age, comme dans cet atelier sur le «féminin sacré», espace «vulvico-spirituel» à découvrir en toute sororité.
«Bien sûr, il y a des trucs qui vont très loin, mais c’est super fun et ici, ça ne choque personne», philosophe Damien, employé des Bains des Pâquis. S’il admet que des collègues ont pu être choqués par ce «Disneyland de la ch…», avec son omniprésence de sexes féminins en plein air, lui ne voit rien de problématique dans cet événement soutenu, entres autres, par les Hôpitaux Universitaires, l’Université et, bien évidemment, la Ville de Genève.

Reste cette interrogation: si le sexe féminin est si censuré, comment expliquer que ces subventions s’engouffrent si joyeusement pour assurer sa présence géante dans l’espace public? N’est-ce pas que, loin de «briser des tabous», cette sexualité de rue fait office de triomphe revanchard sur une oppression bien moribonde? N’est-ce pas enfin que, à tout transformer en objet de lutte, nous risquons de nous soumettre à un nouveau catéchisme, autrement plus étouffant que l’ancien?