Quand le PLR «serre la vis» aux libertés individuelles

Jusqu’à une époque récente, c’était en principe à propos de comportements illégaux que les politiciens parlaient de «serrer la vis» . Tel ou tel voulait serrer la vis au deal de rue, aux pickpockets, aux resquilleurs… Les choses ont bien changé puisque ce sont désormais les personnes n’enfreignant aucune loi qui font le plus souvent l’objet de ces velléités, à l’image des non-vaccinés durant la crise du Covid. Ironie de l’histoire, certains comportements délictueux – pensons à la consommation de drogue – ont suivi le chemin inverse pour passer, depuis une dizaine d’années, à l’état de simples «réalités à encadrer».

Étonnamment, le Parti libéral-radical (PLR) n’est plus le dernier à proposer ses services pour le grand serrage de vis permanent dont la population devrait faire l’objet. Dernier exemple en date, la proposition, relayée par Blick, de taxer les ménages dont la consommation de gaz augmenterait alors que des efforts de limitation sont demandés à l’industrie. Pas de raison que l’économie soit seule à se serrer la ceinture en matière d’énergie, selon la conseillère nationale Susanne Vincenz-Stauffacher et le conseiller aux états Damian Müller, aux commandes de cet ovni.

«Personne ne consomme pour le plaisir»

«Je trouve ce genre de mesures ridicules», fulmine Alec von Barnekow, vice-président des Jeunes PLR suisses et président des Jeunes PLR fribourgeois. «Vu le prix actuel de l’énergie, l’ensemble des acteurs ont un intérêt clair à économiser. Personne ne consomme juste pour consommer. Punir des entreprises qui viendraient à consommer davantage ne me semble pas plus judicieux. Probablement qu’elles n’ont pas d’alternative si elles veulent croître.» D’autres, sous couvert d’anonymat, dénoncent une proposition suicidaire un an avant les élections fédérales. Ou l’art de choisir le pire moment pour se montrer antipathique…

«Il faut faire comprendre aux gens qu’ils agissent pour leur propre intérêt, et non pas les menacer avec des sanctions.»

Eric Bonjour, ancien député vaudois

Mais comment un parti héritier du libéralisme peut-il accoucher de mesures n’hésitant plus à brandir la menace de nouvelles taxes? La proposition du duo d’élus est en tout cas jugée «troublante et assez intrusive» par l’historien Olivier Meuwly, spécialiste de l’histoire des idées politiques. «Comment vont-ils faire? Examiner chaque facture de consommation de gaz? Le PLR sera mal pris pour critiquer, par la suite, l’ultra-étatisme des Verts qui ne cessent de culpabiliser les gens et jouer la police de la verdure.»

On l’aura compris, l’intellectuel n’est pas emballé par la proposition. Mais pas au point de dénoncer une sortie de route de son parti, en tension constante entre son aile radicale, plus étatique, et son aile purement libérale. «Les ennemis du PLR sont toujours en train de chercher les moments où il dévie. Ils n’aiment pas le libéralisme mais reprochent aux libéraux de ne pas l’être. On peut cependant se demander s’il n’y a pas actuellement une tentation de surjouer le ‘R’ parce que l’ambiance du moment n’est pas très ‘L’. C’est un risque possible.» Et de plaider pour que le parti donne au moins du sens aux accents qu’il choisit de mettre dans ses propositions.
Et si, à force de miser sur la «responsabilité», le PLR laissait sa place à la conservatrice UDC comme parti le plus libéral de l’échiquier politique suisse? «Mais c’est déjà le cas», juge Eric Bonjour, ancien député vaudois passé par les deux formations durant un parcours politique de trente ans. «Le covid l’a montré, seule l’UDC demandait une politique libérale, encourageant la vaccination, mais sans demander qu’on l’impose.» L’idée que l’on puisse venir fouiller dans ses factures, et dans sa vie privée, lui est particulièrement antipathique: «C’est du communisme, inadmissible.» Loin de nier la réalité des problèmes d’approvisionnement énergétique, et la nécessité d’ajustements, il propose une politique basée sur l’éducation. «Si tout le monde faisait des économies individuelles, on pourrait économiser une centrale nucléaire, explique-t-il. Mais il faut faire comprendre aux gens qu’ils agissent pour leur propre intérêt, et non pas les menacer avec des sanctions.»




Les menaces pour rattraper les erreurs

Ce «portefeuille de mesures», préparé par l’OSTRAL (Organisation pour l’approvisionnement en électricité en cas de crise), comprend notamment, si les réserves d’énergie venaient à être compromises, l’interdiction d’utiliser les jacuzzis, les saunas, voire les ascenseurs. Fabrice Moscheni, ingénieur EPFL et élu UDC au Conseil communal de Lausanne, juge que de telles mesures sont une manière très cavalière pour le Conseil fédéral de ne pas prendre ses responsabilités: «Se passer de jacuzzis ou de saunas, pourquoi pas. Mais interdire l’utilisation des ascenseurs aux personnes handicapées est une mesure stigmatisante.»

Ce chef d’entreprise demande dès lors que le gouvernement explique quelles sont les mauvaises décisions qui nous ont menés jusque-là et comment il entend assumer ses responsabilités. Un devoir de transparence nécessaire au moment de diminuer le niveau de vie des Suisses.

“Remplacer le réflexe du thermostat que l’on pousse vers le haut au premier ressenti de froid par un pull supplémentaire porté dans le logement, permettra d’économiser des quantités non négligeables de gaz naturel.”

Philippe Petitpierre, président du Conseil d’administration des sociétés du Groupe Holdigaz SA

Philippe Petitpierre, président du Conseil d’administration des sociétés du Groupe Holdigaz SA, basé à Vevey, est moins critique. Il estime que le plan d’action de l’OSTRAL est cohérent lorsqu’il en appelle aux économies d’énergie pratiquées prioritairement sur les appareils de nécessité accessoire comme la climatisation, les ascenseurs ou les télévisions: «Il devrait en aller de même pour le gaz, quand bien même les applications sur lesquelles nous pourrions avoir prise sont nettement moins nombreuses que pour l’électricité, soit: le chauffage, la cuisson, la production d’eau chaude, la mobilité, les applications industrielles, pour les principales.» Pour le spécialiste en énergie, la seule aide de la part de la population serait d’abaisser le chauffage de un à plusieurs degrés: «Remplacer le réflexe du thermostat que l’on pousse vers le haut au premier ressenti de froid par un pull supplémentaire porté dans le logement, permettra d’économiser des quantités non négligeables de gaz naturel. Une baisse de 1°C correspond à une diminution de la consommation de 7%.»

Dans son catalogue de mesures, l’OSTRAL prévoit, en dernier recours, des interruptions cycliques d’une durée de quatre à huit heures. L’organisation précise qu’une telle éventualité aurait de lourdes conséquences pour l’économie et les citoyens. Les experts demandent donc à tout un chacun d’apporter sa pierre à l’édifice: «Economiser ensemble suffisamment et de manière solidaire pour empêcher à tout prix les coupures!», point d’exclamation à l’appui.

Pourquoi cette situation?

Mais comment la Suisse en est-elle arrivée à une situation telle que le rationnement devient une option? L’Office fédéral de l’énergie (OFEN) déclenche la machine à langue de bois: «En Europe, la situation est de plus en plus tendue en matière d’énergie, principalement en ce qui concerne le gaz. Depuis mars 2022, le Conseil fédéral et l’industrie gazière suisse œuvrent conjointement à renforcer l’approvisionnement en gaz de la Suisse pour l’hiver prochain en s’assurant des capacités de stockage dans les pays voisins et en prenant des options sur des livraisons supplémentaires de gaz.»

“Je suis atterré par la manière dont les analyses concernant les perspectives énergétiques ont été menées. Le Conseil fédéral doit prendre ses responsabilités et se rendre compte qu’il s’est trompé en permettant l’abandon du nucléaire.”

Fabrice Moscheni, Ingénieur EPFL et élu UDC au Conseil communal de Lausanne

Pour Fabrice Moscheni, c’est surtout la politique d’approvisionnement de la Suisse, depuis plusieurs années, qui doit être questionnée: «Je suis atterré par la manière dont les analyses concernant les perspectives énergétiques ont été menées. Le Conseil fédéral doit prendre ses responsabilités et se rendre compte qu’il s’est trompé en permettant l’abandon du nucléaire. Nous devons diversifier les sources énergétiques: hydraulique, renouvelable mais aussi nucléaire, qui est une énergie à bas taux carbone et pilotable.» Discours militant ou simple constat objectif? «La décision prise par Bruxelles le 6 juillet de considérer le nucléaire et le gaz naturel comme des énergies contribuant positivement à faciliter et améliorer la transition énergétique répond à la question», appuie Philippe Petitpierre. Néanmoins, il juge que tous les problèmes ne doivent pas être imputés aux militants anti-nucléaire: «Ce serait un peu facile de désigner les écologistes comme portant une responsabilité dans ce qui nous arrive en matière d’approvisionnement en gaz naturel. Par contre, l’idéologie est mauvaise conseillère quand elle est monolithique, et que l’on ne prend pas le soin d’analyser la situation sur un plan plus large que la seule défense de l’environnement.»

Fruit de l’enthousiasme écologique de la dernière décennie, le non à l’énergie atomique, décidé par votation populaire en mai 2017, n’est pas irrévocable selon Fabrice Moscheni: «Persister dans l’erreur n’est pas acceptable pour le futur de la Suisse. Le Conseil fédéral doit prendre l’initiative de proposer de relancer l’énergie nucléaire. A l’instar du droit de vote pour les femmes qui a nécessité plusieurs essais avant d’être accepté, le peuple peut changer d’avis et s’approprier l’idée que l’énergie nucléaire est nécessaire dans notre mixe énergétique.»

Les Verts suisses n’ont visiblement pas apprécié le revirement pro-nucléaire de l’UE. Ils l’ont fait savoir sur Twitter.

Un fumet soviétique

Si le catalogue de mesures est déjà dans les tuyaux, quand et comment celles-ci seront-elles déployées? Réponse de l’OFEN: «En cas de contingentement de la consommation d’électricité, le respect serait contrôlé par les gestionnaires de réseau de distribution, le contrôle du respect des restrictions de consommation dépend des interdictions et restrictions concrètement prescrites.» Des perspectives qui sentent bon le triomphe de la bureaucratie et la surveillance des gestes les plus anodins. L’OFEN précise qu’en cas d’infraction aux mesures d’intervention fondées sur la loi sur l’approvisionnement du pays (LAP), l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays (OFAE) pourra prendre des mesures administratives et, par exemple, réduire les attributions. Les infractions sont en outre punies conformément à l’art. 49 LAP. La poursuite pénale incombe aux cantons.

Art. 49 LAP

Infractions aux dispositions régissant les mesures d’approvisionnement économique du pays
1 Est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque, intentionnellement:
a. enfreint les prescriptions sur les mesures d’approvisionnement du pays édictées en vertu des art. 5, al. 4, 28, al. 1, 29, 31, al. 1, 32, al. 1, ou 33, al. 2;
b. viole une décision qui se fonde sur la présente loi ou sur ses dispositions d’exécution bien qu’il ait été averti de la peine prévue par le présent article, ou
c. viole un contrat qui se fonde sur la présente loi ou sur ses dispositions d’exécution et auquel il est partie, bien qu’il ait été averti de la peine prévue par le présent article.
2 Si l’auteur agit par négligence, il est puni d’une peine pécuniaire de 180 jours-amende au plus.