Au boulot mesdames!

Ces riches recommandations accompagnaient, dans un entretien à la NZZ am Sonntag, un message de soutien au relèvement de l’âge de la retraite des femmes, sur lequel la population s’exprimera le 25 septembre prochain. Travaillez plus, et plus longtemps, et le bonheur vous ouvrira les bras entre la fin du boulot et les plats prémâchés de l’EMS! A moins de faire un cancer entre-temps.
Alors on ne va pas jouer la lutte des classes quand on aspire essentiellement à boire des bières fraîches sur une plage de Thaïlande, à l’approche du troisième âge. Gageons cependant qu’il est relativement agréable de travailler à 70% quand on passe d’une carrière de haute fonctionnaire à une carrière de directrice de Pro Senectute, comme la Grisonne. Quand on traîne une épicondylite depuis vingt ans, parquée à la caisse d’un grand magasin, c’est parfois plus délicat. Surtout, on comprend mal de quel libéralisme la native de Felsberg se fait l’apôtre. Certainement pas le nôtre, tant le fait de se terrer dans une cabane près d’un lac, comme jadis Henry David Thoreau, nous paraît un destin plus enviable que la soumission aux injonctions de quelque politicien de carrière.

La fraction de seconde de trop

Depuis quelques semaines, difficile d’y échapper: des panneaux en langue inclusive nous invitent, à travers la Suisse romande, à ne pas écraser les «ÉCOLIER-RES». Heureusement, d’ailleurs, parce que sans mention explicite des élèves de sexe féminin, les chauffards avaient la fâcheuse tendance de choisir leurs victimes en fonction de leur sexe… Désormais, plus d’excuse, donc, et tant pis si les automobilistes peu familiers de la novlangue perdent des fractions de secondes précieuses à tenter de déchiffrer ce sabir abscons: au moins ils seront dangereux pour la bonne cause.

La fin de l’abondance s’annonce sympathique

La France est ce beau pays dont le président peut annoncer les mois difficiles à venir, tandis que lui-même fait le zouave sur un jet-ski. Alors pas de haine du succès dans nos rangs: tant mieux si Jupiter peut se détendre entre deux téléphones durant ses vacances. Après tout, un président aussi a le droit de s’amuser. On ne comprend juste pas ce désir de faire ça au milieu de la mer, alors qu’il y a des programmes d’occupation si rigolos (voir ci-dessous) dans les prisons de l’Hexagone.

Dans les prisons de Fresnes, l’ann didou didou d’ann

Les amateurs de chansons bretonnes se souviennent sans doute qu’il fallut jadis une «jeunette» pour délier les pieds d’un prisonnier «dans les prisons de Nantes». Dans celles de Fresnes, c’est plus simple: un «moment d’engagement fraternel» (dixit le directeur des lieux, Jimmy Delliste) suffit. Cet été, la France ébahie a ainsi eu l’occasion de découvrir «Kohlantess», un «Koh-Lanta des cités», organisé entre quatre murs. Au menu de cette déclinaison de la fameuse émission de télé-réalité de TF1, des épreuves comme le karting, le mime ou le tir à la corde au-dessus d’une piscine. Le tout, au lendemain d’une pièce de théâtre mettant en scène le rappeur Stomy Bugsy, qui en son temps prônait le «sacrifice de poulets».
Mais pas de mauvais esprit: le karting pour la réinsertion, pourquoi pas, après tout. On pourrait même imaginer qu’une visite au Grand Prix de Monaco transformerait tout ce joli monde en citoyens modèles. L’ann didou didou d’ann…




Le PS Suisse et le coup de la grande dixence

«Est-ce qu’on est bien sur la page Facebook du PS Suisse?». Voici, en substance, le cœur des réactions suscitées par un message publié le 22 avril dernier sur le réseau social. Dans le contexte du duel Macron-Le Pen, la formation politique appelait à se rendre aux urnes «pour une France antifasciste». Et le PS de préciser: «Si l’extrême-droite arrive au pouvoir, les fondements de la démocratie et de l’État de droit seront en danger. Évitons que l’abstention serve ses intérêts. Votez Macron, faites barrage à l’extrême-droite.» La fin du message, toutefois, masquait difficilement un certain malaise à l’idée de soutenir l’ancien banquier d’affaires: «S’il est élu, il sera possible de combattre toute attaque contre l’État social et la démocratie dans les institutions.» Comprendre: Macron n’est pas le roi des bons types, mais au moins il n’est pas totalement un dictateur, contrairement à son adversaire.
Ces recommandations font dresser les cheveux sur la tête de Yohan Ziehli, collaborateur scientifique de l’UDC Suisse: «Si Madame Le Pen avait été élue, nous nous serions retrouvés avec un parti gouvernemental qui aurait fait face à une personne qu’il avait traitée de fasciste au préalable. Cela me semble inadmissible en matière de bons offices et montre une nouvelle fois que le Parti socialiste est déterminé à miner toute neutralité helvétique, toute capacité, aussi, à jouer notre rôle historique de médiateurs.»
Jean Romain, député PLR genevois, est moins radical, si l’on peut dire. Ce qui ne l’empêche pas de jeter un regard amusé sur les contradictions intrinsèques d’un tel appel: «La posture politique ne m’intéresse guère, c’est la posture idéologique qui me semble curieuse. On peint le diable sur la muraille et derrière on soutient un opposant politique.» Il lui semble en effet assez «cocasse» que le PS appelle à voter pour un représentant de la droite orléaniste alors que Marine Le Pen est politiquement davantage tournée vers les nécessiteux que son rival, à ses yeux.
«Je suis membre d’un parti qui se veut profondément internationaliste, conclut Pierre Dessemontet, «co-syndic» socialiste d’Yverdon-les-Bains: «Je le suis moi-même: je me sens éminemment européen, et quand bien même mon pays a choisi de ne pas rejoindre le processus d’intégration européenne, c’est un point où je suis fondamentalement en désaccord avec lui. Je me sens profondément concerné par ce qui se passe, politiquement, dans les pays européens, et plus encore quand c’est le grand pays voisin avec qui nous avons tant de choses en commun, à commencer par l’histoire.»
Un point de vue forcément partagé par le co-président du parti et conseiller national argovien Cédric Wermuth: «Se prononcer sur les affaires politiques d’autres pays ne date pas d’hier, surtout lorsqu’elles ont un impact potentiel sur la politique internationale. En l’occurrence, les liens de madame Le Pen avec des banques proches du Kremlin inscrivaient cette élection dans le contexte international.» Il précise bien que le PS a appelé à voter Macron non pas par conviction politique, «mais bien pour appeler à faire barrage à l’extrême-droite. Chaque alternative démocratique est meilleure.»
Ingérence ou non? Le débat dépasse le cadre des élections présidentielles, et s’inscrit dans un changement de perception de la notion de neutralité suisse. Un mot, en tout cas, semble de plus en plus avoir fait son temps: «faire barrage». Comme en rigole l’humoriste français Franjo, «maintenant on fait barrage tous les cinq ans; apparemment on est devenus des castors.»