Droit d’aînesse

Enseignant à la retraite et militant de la décroissance, Jean-Daniel Rousseil n’a vraiment pas apprécié la condamnation de la Suisse pour “inaction climatique”. Il explique pourquoi dans cette tribune haute en couleur.

Disons-le d’emblée, j’éprouve une sympathie spontanée pour Raphaël Mahaim ! Je l’ai croisé l’autre jour en balade familiale, élégamment accompagné de son épouse et de leurs filles. Il m’a salué spontanément sans me connaître comme le font les randonneurs qui savent qu’ils empruntent et partagent la beauté du monde qui les entoure. Un salut simple et souriant qui est sans prix, à mes yeux, car il renonce à toute préséance. Un salut civil et citoyen qui m’a touché, je l’ai écrit à son auteur. Par conséquent, qu’on ne me reproche pas de jeter l’avocat et le Conseiller national dans la bassine d’un conventionnalisme passéiste, d’une apologie des plaisirs simples, pas plus d’ailleurs que dans le flux limpide et musculeux de ce petit Nozon que nous longions sous les cerisiers en fleurs.

Je retrouve Me Mahaim au TJ le surlendemain, entouré de dames qui pourraient toutes ensemble être sa mère ; le récit de la RTS relate le combat de ces “aînées pour le climat” qui ont obtenu la condamnation de la Suisse pour inaction climatique auprès de la Cour Européenne des droits de l’Homme. Comme cette information me déplaît, je m’interroge. Après tout, ces dames patronnesses 2.0 ne sont-elles pas mes semblables, mes sœurs ? D’abord, ce sont mes contemporaines ou à peu près, je les imagine heureuses, comme moi, de faire sauter sur leurs genoux de joyeux petits- enfants, et soucieuses de leur préparer le meilleur avenir possible – ou le moins pire – du moins de pouvoir les regarder dans les yeux avec la conviction de s’être battues pour eux. Ensuite, je dois bien avouer que je ne tiens pas la Suisse pour un modèle de vertu, que l’affaire des fonds en déshérence m’avait écœuré, que les crashes de Swissair, de la BCV, du Crédit Suisse m’ont passablement échauffé. Et que je me réjouis de penser que la démocratie ne vaut pas tant par le suffrage universel que par l’égalité de droit. Alors pourquoi cet agacement ?

Je pourrais m’en tenir à l’idée que, pour ces activistes (les mandantes et leur conseil) assez ouvertement pro-européens, cette victoire est un fameux autogoal. Comment n’avoir pas prévu que tous les partis conservateurs s’en offusqueraient et durciraient leur position dans la négociation du laborieux accord que la Suisse prépare avec l’UE (1) ? Comment n’avoir pas imaginé que tendre aux juges européens le bâton pour battre le Parlement helvétique serait la pire erreur politique possible ? Ce genre de bourde m’indispose, me hérisse, m’encolère brutalement. Même si je ne partage pas les vues de ceux qui la commettent. Je songe surtout au temps et aux moyens sinon gaspillés, du moins utilisés en vain et à contre-sens. Les aînées dansent de joie et s’embrassent ? Je piaffe et maugrée. Me Mahaim a brillamment plaidé ? Je ratiocine sombrement.

Miriam Künzli / Greenpeace

Mais il me semble que mon irritation s’enracine ailleurs. Je reconnais qu’un calendrier imprévisible a fait tomber cette décision au mauvais moment. Or un homme de loi me souffle qu’elle a été rendue particulièrement vite, que ce type de dossier peut prendre des années pour être instruit et jugé. Me Mahaim n’a-t-il pas eu la tâche trop facile ?

L’Europe ne lui a-t-elle pas ouvert les bras avec un enthousiasme suspect ? Ne se gère-t-elle pas grâce à son action ? N’a-t-on pas accusé la Suisse pour créer un précédent à l’usage d’une réforme européenne du droit vital à l’environnement ? Que la Suisse devienne le modèle de l’Europe sans en faire partie, c’est assez fort de tabac ! Que la Suisse s’aliène, en fâchant ses parlementaires prêts à faire quelques concessions, la possibilité de négocier plus finement un accord auquel elle ne coupera pas, c’est hallucinant ! La Suisse, bonne élève et idiot utile de l’Europe, recevra-t-elle en compensation de cette brimade un dégel des relations académiques, une reconnaissance de ses prétentions en matière de protection salariale ? Rien n’est moins sûr. En fait, malgré leur regrettable victoire, ce ne sont ni ces dames, ni Me Mahaim qui m’agacent, mais l’idée que la Suisse a égaré dans l’affaire des moyens de défendre certains de ses acquis indispensables, vitaux, longuement élaborés. Oui, ça me suffoque.

Un chef d’accusation injuste et infâmant

Pourtant, il y a plus. Le chef d’accusation est surtout injuste et infâmant. On accuse d’inaction climatique le pays qui a le meilleur bilan carbone du continent. Tout au plus peut-on le comparer à celui du voisin français qui le doit à ses centrales nucléaires (malgré de criantes insuffisances) ou de la frileuse Norvège qui a couvert ses déserts septentrionaux d’éoliennes qui, au gré des vents, ébranlent de leurs coups de boutoir le réseau électrique continental. Donc la Suisse n’a rien à se reprocher ; au contraire, elle a quelques bons conseils à donner, des technologies de pointe à partager et à vendre, un modèle à proposer. Condamner la Suisse pour ce motif, revient à coller un carton jaune au meilleur buteur parce qu’il fait perdre son souffle à l’équipe adverse. Insensé.

Cette infamie frappe la Suisse à la veille d’un scrutin (9 juin 2024) où elle votera sur son approvisionnement énergétique. Un ancien ponte des services fédéraux (2) de l’énergie s’est offusqué de voir le Parlement accepter largement une mesure qui permet d’accélérer les procédures en matière de parcs photovoltaïques et éoliens situés en pleine nature. Autrement dit, supprimer des voies de recours et empêcher les citoyens suisses de protester contre ces infrastructures géantes en brandissant des lois de protection de la nature patiemment et valeureusement acquises. Ce “Mantelerlass” est anticonstitutionnel ? Qu’à cela ne tienne ! Il accorde à la production d’électricité la même valeur que la santé publique ou la préservation de l’environnement ? Peu importe, il faut vivre avec son temps ! Il néglige la nécessité d’utiliser prioritairement toutes les alternatives à ces parcs : panneaux solaires sur les toits, mesures d’isolation, de sobriété ou d’économie ? A d’autres, vive le mix, parbleu ! D’ailleurs ces installations mahousses seront construites dans des lieux retirés “sans valeur paysagère” comme l’avaient savamment affirmé les services de Mme De Quattro lorsqu’elle s’activait au Château vaudois : il s’agissait des crêtes du Jura vaudois où planent des aigles, des milans royaux, où niche le tétras et grisolle l’alouette. Bah, Tik Tok se moque de ces volatiles ! Pire, le réseau et ses utilisateurs ignorent tout bonnement ces animaux et ne se passionne que pour des vidéos de chats domestiques.

Mais la Cour européenne des droits de l’Homme, au nom d’une pensée globale, s’empresse d’ignorer, quant à elle, la réalité complexe et fragile des écosystèmes helvétiques. Pis, elle fait pression sans le savoir pour qu’on y installe des zones industrielles là où l’empreinte humaine s’est bornée à quelques routes, des chalets d’alpages aux toits bas, des clôtures aux piquets tors et vaillants, des sentiers de randonnée ou de ski nordique. En effet, ces crêtes sont vitales pour une population stressée et avide de silence ! Ces crêtes ne survivront pas aux centaines de plateformes, aux tranchées de raccordement, aux routes d’accès nécessaires à la maintenance. Les vrais défenseurs de la nature le savent. Mais que ferait-on sans électricité ? Encore un autogoal de première force, et avec reprise de volée !

Les citoyens épris d’écologie qui approuveront, le 9 juin 2024, le dépouillement indécent de nos droits civiques ignoreront sans doute qu’en facilitant vertueusement ces “centrales renouvelables”, leur suffrage donnera ipso facto un aval aux centrales nucléaires dont on parle de plus en plus haut (3). Du moins ceux qui ont compris que mille hélices et cent “terrains de football” photovoltaïques ne suffiront jamais à satisfaire, en volume et en régularité, la demande croissante et vertigineuse de courant électrique et que l’intermittence des renouvelables exige l’appui d’une source d’énergie vraiment flexible et pilotable. Si l’approvisionnement en électricité acquiert une valeur d’intérêt national, le besoin fera loi et toute forme de production énergétique sera facilitée. Le troisième autogoal est programmé. Les promoteurs électriques avancent masqués ce qui, les concernant, est de bonne guerre. Que ceux et celles qui défendent l’environnement comme un droit humain fondamental leur apportent un coup de pouce inespéré doit les faire rire aux éclats.

J’ai de la sympathie pour Me Mahaim, politicien des plus efficace et respectable, tout comme pour ses clientes, grands-mamans généreuses et écoresponsables. Je ne conteste pas que la Cour européenne ait accompli sa tâche. Mais je déplore l’aveuglement qui les a fait agir “au coup par coup”, sans vision globale, sans souci intelligent de l’écosystème. Et sans analyse sérieuse ni du fiasco des énergies vertes en Europe, ni de l’excellence de la Suisse en matière de production. Une étude toute simple et sans faille (4) démontre que la source énergétique décarbonée qui allie la meilleure productivité et le plus faible impact environnemental est l’hydroélectricité au fil de l’eau. Faut-il faire tourner des roues à aube dans le vif et luisant canal du Nozon ? Évidemment que non ! Mais de nombreuses solutions existent. Et j’estime, pour conclure, que de brillants élus comme M. le Conseiller national Mahaim se doivent de les chercher, de les proposer aux Chambres fédérales tout en refusant radicalement les options contraires à la défense de la nature et surtout les mesures antidémocratiques qui privent de leurs droits beaucoup de dames respectables ainsi que toute leur famille.

RTS du 13 avril 2024 « Le verdict de la CDEH fragilise le futur accord avec l’UE »

2 M. Jean-Marc Bruchez, voir www.letemps.ch/suisse/la-loi-sur-les-energies-renouvelables-menacee-par-un- referendum , article du 10 octobre 2023

3 RTS, 11 avril 2024 « Le retour du nucléaire face au changement climatique échauffe les esprits » 4 https://montsujet.ch/data/documents/240126_Production_Energie_Impact_Paysage.pdf

4 https://montsujet.ch/data/documents/240126_Production_Energie_Impact_Paysage.pdf




Édition 33 – Pour en finir avec le wokisme

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Elle est partie ce matin à l’imprimerie, mais la voilà déjà en ligne pour vous : notre nouvelle édition, qui déborde de bonnes choses. A tel point que nous avons déjà dû en mettre de côté pour la suivante !

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Comment les Jeunes Vert-exs vaudois ont colonisé l’UNIL

Il faisait beau, le 12 octobre dernier, et les étudiants qui gravitaient autour du bâtiment Géopolis, dans le secteur UNIL-Mouline, ont eu droit à une surprise rafraîchissante : une distribution de maté en canette. Aux commandes, des militants des Jeunes Vert-exs Vaud (JVVD) munis de pancartes pour appeler à voter pour leur formation et en particulier pour Angela Zimmermann, candidate au Conseil des États (14’070 suffrages dix jours plus tard).

Photo de l’événement postée sur le compte Instagram des Jeunes vert-e-x-s Vaud.

Problème, quelques semaines auparavant, le responsable technique des Jeunes UDC Vaud, Colin Métraux, venait lui-même de recevoir un refus de l’UNIL pour organiser une action du même type. En cause, non pas une question idéologique, mais simplement une directive relative à l’organisation dans ses infrastructures de réunions étrangères à la mission universitaire. Cette dernière refuse notamment les « manifestations politiques à caractère partisan ». Et peu importe que les jeunes agrariens aient spécifiquement demandé de rencontrer les étudiants sur le campus et non dans les bâtiments, comme les JVVD quelques jours plus tard.

Un procédé cavalier

Pourquoi, dès lors, les jeunes écologistes vaudois ont-ils pu organiser leur distribution de canettes ? La recette est simple : il suffisait de ne pas demander ! « Si les Jeunes Verts font campagne sur le site de l’UNIL, c’est sans notre autorisation », s’est ainsi vu répondre Colin Métraux, « très surpris » et avide d’explications, par une responsable Accueil Événements et Gestion de Salles. Signe que la chose n’était pas anodine, le service de la sécurité a été mis en copie de cette réponse, datée du 13 octobre.

Contactés, les Jeunes Vert-exs contestent pourtant avoir fait quoi que ce soit d’irrégulier : « Une manifestation, selon le Larousse, est un “événement attirant un public relativement large (fête, festival, exposition, salon, etc.), organisé dans un but commercial, culturel, publicitaire ou de simple réjouissance”. Dans notre cas, qui est une distribution à quelques personnes, je n’ai pas l’impression que ça colle à cette définition », tranche Ambroise Delaly, membre du comité vaudois. Comme leur distribution de « boisson à haute teneur en caféine, qui remplace le café pour certain·e·x·s » a eu lieu dans un espace extérieur, le jeune politicien maintient que sa section n’avait pas à « demander une dérogation ».

Tractage sauvage et débat très particulier

Une belle assurance qui ne suffit toutefois pas à convaincre l’UNIL. Géraldine Falbriard, attachée de presse, confirme que « s’il y avait eu une demande, nous n’aurions pas accepté. » Elle se montre d’autant plus agacée que sur le réseau social Instagram, les jeunes écologistes se félicitent aussi d’avoir participé, quelques jours avant leur action, à un débat pour le moins unilatéral. Portant sur « le projet révolutionnaire aujourd’hui », ce dernier réunissait représentants du Parti socialiste, de la jeunesse socialiste et du POP. À droite ? Personne, évidemment…

Équilibré, vous avez dit ?

« Nous nous étonnons, n’ayant pas trouvé trace de demande de location il y a trois semaines », regrette Géraldine Falbriard. Si un débat peut évidemment avoir lieu dans l’université, un événement au casting aussi monocolore est en effet plus déroutant. Mais cette fois, pas de reproche spécifique pour les Jeunes Verts. L’organisation de la discussion, nous expliquent-ils « revenait à des étudiant-exs dans le cadre d’un séminaire sur le projet révolutionnaire. Nous y avons agréablement été convié-exs ».

Entre tractage sauvage, affichage massif et pression sociale gauchisante, le climat est pour le moins particulier à l’UNIL, explique un jeune lecteur du Peuple. « Avec ses convictions qu’elle juge justes et bienveillantes, la gauche est omniprésente ici, explique cet étudiant en sciences humaines. On le voit avec le nombre impressionnant de flyers et d’affiches que l’on trouve sur les murs. A ce climat général s’ajoute que bon nombre d’enseignants sont affiliés à des partis de gauche, ce qui interroge quant à leur neutralité. » Et d’expliquer que quelques jours avant le deuxième tour, un flyer appelant à voter pour le Vert Raphaël Mahaim venait de lui être tendu à la sortie de la bibliothèque.

Porte d’entrée du bureau d’une enseignante, photographiée en avril dernier.

Colin Métraux, lui, ne peut que condamner les procédés de ses adversaires politiques : « Ce n’est pas parce qu’on est un parti de jeunes que l’on peut se soustraire à la loi et aux règlements ! ».

Signe d’un retour du pluralisme, des visuels moins verts mais plus rouges ont fait leur apparition sur le campus ces derniers jours. On vous laisse les apprécier.




En route pour l’impunité

La justice française n’a toutefois pas retenu la troisième raison invoquée par les avocats des militants: le fait que se coller la main sur le bitume et nuire à la vie des usagers de la route serait l’unique moyen de faire face au changement climatique. Mais tout cela risque de changer, bientôt, puisque le juge a précisé que sa position pourrait «évoluer d’ici quatre ou cinq ans»…

S’il admet qu’il est délicat pour lui de commenter un jugement français et qu’il s’agit d’un droit étranger qu’il ne connaît pas, Philippe Nantermod, vice-président du PLR Suisse et avocat, se dit «surpris que l’on prétende que ces actions sont ʻpacifiquesʼ». Et le Valaisan de continuer: «Bloquer le trafic constitue une action violente de contrainte, une atteinte à la liberté des gens.» Valaisanne également, la députée écologiste Magali Di Marco n’approuve pas la désobéissance civile affichée par les militants français: «Je ne suis pas juriste mais il me semble que quand on parle de mise en danger d’autrui ou d’entrave à la circulation, ça peut être évidemment problématique, notamment pour les urgences médicales, mais bien moins que l’augmentation de la température terrestre de 3 ou 4 degrés qu’on subira d’ici la fin du siècle.»

Un acte signé et revendiqué

Mais revenons à nos moutons, ou plutôt à nos canons à neige. Durant les nuits du 30 au 31 décembre 2022, puis du 2 au 3 janvier 2023, des dispositifs de ce type ont été vandalisés aux Diablerets. Lors de la seconde action, un logo du groupuscule écologiste radical Extinction Rebellion a été trouvé.

Concernant ces actes de vandalisme, les deux politiciens sont sur la même longueur d’onde. «Les délinquants qui ont commis ces actes doivent être punis. Je ne vois aucune circonstance atténuante qui justifie ces actions violentes», glisse Philippe Nantermod. Magali Di Marco estime quant à elle que ces actes sont ceux «de personnes désemparées, mais contrairement aux jets de soupe sur des œuvres d’art préalablement protégées, qui sont des actes symboliques, il s’agit là de dégâts coûteux.»

D’autant plus coûteux que la branche souffre particulièrement cette année. Sur ce point également, les élus s’accordent malgré leurs conceptions très divergentes du militantisme climatique. L’élue verte détaille: «Je le répète, c’est un acte de vandalisme qui doit être condamné pour ce qu’il est. Si on crève les pneus de ma voiture, on ne va pas condamner plus fermement les auteurs si je viens de subir un divorce ou si je sors d’une dépression.» Le libéral lui emboîte le pas: «La loi est la même pour tous, que vous soyez fort ou faible. C’est un acte d’autant plus méprisable qu’il est anonyme et ne tient pas compte de ses conséquences pour les citoyens, mais il ne se justifierait pas davantage s’il était commis contre des entreprises très prospères.»

Rester droit dans ses bottes

Maintenant, avec le précédent de l’acquittement en France, doit-on craindre qu’une certaine souplesse se manifeste dans les jugements rendus en Suisse face aux militants du climat ou de toute autre cause pouvant nuire à la propriété privée, sous prétexte d’un motif plus grand? Pas forcément pour Philippe Nantermod: «Cela fait longtemps que ces milieux marxistes méprisent la garantie de la propriété, pourtant un des droits fondamentaux les plus importants. J’espère sincèrement que la justice reste solide (ou se ressaisisse quand elle dérape) et se souvienne que son rôle n’est pas de soutenir des causes militantes.» Il nuance: «Ces milieux restent marginaux. Et je ne crois pas qu’ils parviennent à réunir suffisamment de monde pour transformer fondamentalement notre société pour un fascisme vert. Au contraire, ils créent un sentiment de rejet chez une majorité silencieuse qui ne supporte plus les leçons de morale et l’agenda socialiste à peine voilé de ces mouvements.» L’inquiétude de Magali Di Marco se situe ailleurs: «Avec les tensions qui vont s’accumuler ces prochaines années, si on ne veille pas à une bonne répartition des efforts à faire entre riches et pauvres, ou qu’on continue à faire comme si de rien n’était, on va assister à des révoltes. Ça commence déjà avec l’aviation, où des décisions sont prises pour développer ce secteur en totale contradiction avec les objectifs fixés.»

Reste désormais à voir si la justice suisse préfère préserver la propriété privée ou si elle cédera, peu à peu, aux sirènes électoralistes et populistes de toutes les nouvelles causes qui verront le jour dans les prochaines années.

Justice à deux vitesses

D’un côté il y a des militants climatiques acquittés alors que leurs actions peuvent tout simplement provoquer la mort. Leur propre mort, d’abord, mais aussi celle d’un automobiliste surpris par un blocage de route ou d’une personne ayant réellement besoin de soins d’urgence. Une personne dont, tristement, l’ambulance resterait par exemple bloquée par un commando d’altermondialistes.

Et de l’autre côté il y a deux jeunes gens qui risquent de passer dix ans derrière les barreaux. Pourquoi donc? Ont-ils tabassé un inconnu? Dépouillé de pauvres passants de façon répétée? Non, non, ils ont simplement imité leurs autorités. Je vais vous éclairer avec le titre d’un article de France Info, posté le 20 novembre dernier: «Statue de Victor Hugo dégradée à Besançon: deux étudiants sont poursuivis et risquent une peine de dix ans de prison». Les deux hommes ont effectivement agi de manière idiote en repeignant le visage de la statue en blanc. Repeindre? Oui, car quelques jours plus tôt, à l’occasion des bientôt vingt ans de son installation, la Ville avait voulu que la statue, bien usée par le temps, soit de nouveau patinée. Elle a donc procédé à une restauration en «africanisant» le visage de l’auteur. Le tout, cela va sans dire, en ne respectant absolument pas l’œuvre de l’artiste sénégalais Ousmane Sow. «On dirait un Victor Hugo noir, ce qui n’a jamais été l’intention d’Ousmane. Et puis, je n’ai pas été prévenue par la Ville de cette intervention», peste d’ailleurs sa veuve Béatrice Soulé.

On résume. Des militants mettent des vies en danger: pas de problème. Une ville sabote une œuvre en sachant qu’elle ne risque rien: pas de problème. En revanche, des étudiants – dont les actes manquent cruellement de finesse – tentent de provoquer un peu: drame national et risque de prison ferme. On se demande ce qu’en dirait Victor Hugo.




Le blues du bâtisseur

Emmanuel Poularas, pourquoi voulez-vous taper du poing sur la table?

On fête cette année le dixième anniversaire du vote sur la révision de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT). C’est un projet qui découlait d’une volonté du Conseil fédéral et qui manifestait une volonté que je peux comprendre: freiner l’étalement urbain. Aujourd’hui, cependant, il faut avoir le courage d’admettre que la LAT n’a pas atteint les objectifs fixés à l’époque.

Sur quels points jugez-vous que la loi a failli?

Je parle du canton de Vaud car c’est là que mon groupe est essentiellement actif. Dix ans après le vote sur la LAT, on y empêche une majorité de communes d’accueillir de nouveaux habitants. Sur un total de 309, 180 sont totalement bloquées: il est impossible d’y déposer un permis de construire. Jugées surdimensionnées, elles doivent déposer un plan d’affectation communal (PACom), dont seuls 26 ont été validés ou sont en cours de validation.

Et dans les communes restantes?

Des plans d’affectation sont en train d’être élaborés, ou alors le travail n’a même pas été lancé tant tout est devenu terriblement compliqué pour les élus.

Ce qui débouche, selon vous, sur une course à la densification…

Oui, parce que l’accès à la propriété est devenu terriblement compliqué. On a créé une «mauvaise rareté» avec le foncier, qui a pris l’ascenseur. Rien qu’au niveau de notre entreprise, nous comptons 1200 familles, souvent de jeunes couples, qui nous demandent de trouver une solution pour qu’elles puissent s’établir. Or nous pouvons tout au plus construire une septantaine de villas par an pour répondre à cette demande.

Vous vous sentez plus libre de parler aujourd’hui que par le passé?

À bientôt soixante ans, il est certain que le gros de ma carrière est derrière moi, même si ma société est florissante. Je lui prête un avenir radieux grâce à l’implication de mes fils, auxquels je remettrai les clefs. En fait, je m’expose car j’aimerais qu’un vrai constat d’échec soit enfin dressé au niveau politique. Quand on parle de «densification», je veux rappeler que cela signifie d’immenses barres d’immeubles dans lesquelles les gens n’ont pas forcément envie d’aller s’installer. Il ne suffit pas de mettre des fleurs sur les façades, planter quelques arbres et recouvrir le béton de bois pour que ces bâtiments deviennent miraculeusement écologiques. En France, en Italie ou en Espagne, plus personne ne veut de ces grandes cités. Le désastre visuel avec lequel on nous faisait peur au moment de la LAT, il est aujourd’hui dans nos grandes villes.

Attendez-vous quelque chose en particulier de la part de la droite, désormais majoritaire au gouvernement?

Je ne fais pas de politique; c’est vraiment un appel citoyen: aujourd’hui, je voudrais expliquer qu’une villa avec un jardin aussi peut devenir une zone de biodiversité. La grande majorité des propriétaires, actuels ou futurs, sont d’ailleurs dans cette tendance-là. Plutôt que de tout interdire, pourquoi ne pas favoriser l’apparition de tous ces ilots de verdure?

Le problème du canton de Vaud c’est qu’un jour, on a décidé pour lui qu’il devait réduire fortement la zone à bâtir, ce sur quoi je n’entends pas revenir, s’agissant du verdict des urnes. Là où je ressens un malaise, c’est au niveau de la méthode qui a été choisie par nos autorités cantonales: à savoir le faire en fonction du nombre d’habitants. Quand la révision de la LAT a été votée on s’est dit que les petits villages ne pourraient grandir que de 0,7 %, mais que tout ce qui se trouvait au centre ou dans les agglomérations pourrait aller bien au-delà. Quand on pense qu’on a voté contre la limitation de 1 % de la population au niveau fédéral, je demande comment on peut imposer ce 0,7 % à tous nos villages? C’est un manque flagrant d’équité.

Un écologiste vous reprocherait certainement de défendre vos intérêts avec ce discours…

Non, je défends une qualité de vie pour nos citoyens. C’est une position philosophique: je revendique le choix. C’est clair que la société doit cadrer, mais on ne peut pas gérer l’aménagement du territoire avec un simple tableur Excel.

Derrière ce combat dans lequel vous vous engagez, il y a donc une philosophie?

Oui, c’est évident. Je suis un promoteur de la famille, quelle qu’elle soit, et j’aime qu’elle puisse vivre dans des lieux adaptés.

Vous avez le sentiment que le canton de Vaud devient laid?

Au-delà de la LAT, je dirais que le pouvoir de l’architecte devient de plus en plus réduit. Quand je me promène en ville ou dans ces nouvelles banlieues que l’on construit, je ne vois que des cubes, avec parfois des fleurs ou du bois certes, mais des cubes quand même. Parce qu’aujourd’hui, il faut d’abord tout connaître de la législation bien avant de penser au projet. Cette situation ne me séduit guère.

Du point de vue de ceux qui les défendent, ces grands cubes d’habitation favorisent néanmoins la mixité sociale…

Parfait, pour autant qu’elle soit volontaire! Mais pourquoi la mixité ne vaudrait-elle que pour les individus et pas pour les habitats?

Comme promoteur…

…Constructeur! La nuance est importante pour moi.

Alors disons comme constructeur, vous avez le sentiment d’être constamment dans le rôle du salopard?

Aujourd’hui, on a un droit à l’opposition dont les uns et les autres font de plus en plus usage. Comme constructeur, on peut répondre à toutes les normes, les législations et autres polices des constructions, mais on doit désormais faire face à des oppositions philosophiques. De plus en plus, des voisins nous disent qu’ils veulent sauver la planète et qu’il ne faut dès lors pas construire pour d’autres. Ils sont eux-mêmes propriétaires mais nous font passer pour les méchants parce que nous aidons d’autres à le devenir.
Dernièrement, des gens se sont opposés à un projet parce qu’il y avait un arbre qui était mal placé sur la parcelle. J’ai dit que non seulement nous allions le compenser, mais que j’étais prêt à créer un verger chez eux. Ils m’ont répondu qu’ils allaient tout de même faire opposition parce qu’ils considéraient, en tant qu’éco-anxieux, qu’il ne fallait plus construire dans le pays. Traiter ce genre d’opposition peut prendre deux ans et vient encore renchérir le coût de la construction.




Sus à l’éco-anxiété!

Nouvellement entré dans nos dictionnaires, le terme «éco-anxiété» est un mot omniprésent tant dans les médias que sur les réseaux sociaux. D’habitude, peu m’en chaut et je passe mon chemin en secouant la poussière de mes sandales. Jusqu’au jour où… L’an dernier à la fin des cours, un groupe d’élèves s’approche de mon bureau. Ils m’expriment leur lassitude à force d’ingurgiter des cours traitant d’écologie tout en les culpabilisant. Je leur demande d’être plus précis. On m’explique alors qu’outre le cours de géographie, les cours de langues (anglais et allemand) comprennent des modules leur distillant la bonne parole écologiste et que toute remise en question est bannie. Bien plus encore, le cours de musique sert de vecteur à l’idéologie écolo-gauchiste. Ce jour-là, derrière mon bureau, je n’ai su que leur répondre. En écrivant ces lignes je pense à eux…

D’habitude, les livres «scientifiques» m’ennuient et je dois me faire violence pour les lire. Ce ne fut pas le cas avec l’ouvrage d’Olivier Postel-Vinay. L’auteur, qui fut longtemps rédacteur en chef de la revue scientifique La Recherche, possède un indéniable sens de la vulgarisation sans jamais tomber dans la simplification outrancière. Avec ce livre, nous sommes conviés à une odyssée, celle de l’espèce humaine, qui nous fait parcourir notre globe sur près de 30’000 ans.

Une réalité indubitable

D’aucuns doivent se dire que l’auteur de Sapiens et le climat doit être un climatosceptique de plus issu de la nébuleuse conspirationniste. Que nenni, Olivier Postel-Vinay considère que le réchauffement climatique est une réalité indubitable. Cependant, il rejette les exagérations qui semblent bien souvent empreintes d’idéologie et de préconcepts discutables, et ce même chez certains scientifiques ou ONG. En fait, selon l’auteur, nous vivons un optimum climatique comme le monde en a déjà connu notamment aux temps des premiers empereurs romains et des croisades.

Ce livre prend en compte la recherche scientifique – notamment la paléoclimatologie – des vingt dernières années, qui a modifié en profondeur la vision que nous avons de l’histoire de l’humanité: l’époque néolithique et son réchauffement climatique (plus important qu’aujourd’hui) qui a permis de nombreuses innovations, la chute de l’empire romain et le rôle central qu’y joue le climat, la fin des Incas et des Mayas, la Révolution française.

Les Philippulus de la décroissance et autres zélotes, qui brandissent comme un étendard le graphique en forme de «crosse de hockey» en nous prédisant la fin du monde, devraient sortir de leur conformisme idéologique et oser lire le livre d’Olivier Postel-Vinay. Pourquoi? Tout d’abord, il pourrait corriger leur bannière. Ce fameux graphique où l’on voit une ligne presque plate durant 2500 ans et qui monte en une diagonale infernale au début des Trente Glorieuses n’est pas crédible. Qu’en est-il des périodes chaudes comparables à la nôtre: entre 100 avant et 200 après Jésus-Christ, entre 1000 et 1300, entre 1920 et 1940? «La canne de hockey» devrait plutôt ressembler à un serpent ondulant.

La conclusion d’Olivier Postel-Vinay relève que, dans le cadre de notre optimum climatique, il faut souligner que trois éléments sont nouveaux: «Le premier est que les pays riches ont acquis les moyens de lisser les microcrises climatiques qui les affectent […]. Le second est qu’en raison de la conjonction entre les progrès de l’industrie et la croissance vertigineuse de la population mondiale, la concentration dans l’atmosphère des gaz à effet de serre que nous y injectons a atteint un niveau supérieur à tout ce que Sapiens a pu connaître depuis son arrivée sur terre. Ce qui conduit au troisième élément nouveau: nous vivons une crise climatique réellement sans précédent, en ce qu’elle se fonde non pas sur des bouleversements concrets entraînés par un changement climatique catastrophique, mais sur l’inquiétude générée par des scénarios élaborés par des spécialistes sur une crise à venir. Pour la première fois Sapiens vit une crise climatique par anticipation.»

L’ouvrage d’Olivier Postel-Vinay est autant purgatif que roboratif. Il nous permet d’éliminer l’éco-anxiété de notre intelligence tout en fortifiant notre entendement. En effet, il nous montre que, si les changements climatiques ont parfois été la cause de l’effondrement de certaines sociétés, ils ont aussi été le moteur des plus grandes innovations.

Olivier Postel-Vinay, Sapiens et le climat – Une histoire bien chahutée, Paris, Presses de la Cité, 2022.




Jeux de mains, jeux de vilaine

Quand ils ne relaient pas servilement la moindre action des névrosés sur pattes qui bloquent des routes et se collent aux tableaux, nos amis de Blick leur mendient également des interviews. Et en général, ça donne des échanges passionnants que l’on pourrait résumer de la façon suivante: «Vous n’avez pas peur, avec vos actions…» et là il faut insérer «de bloquer une ambulance», «de vous faire écraser» ou «d’emmerder le monde». Et dans leurs réponses, les activistes vous glisseront un «non moi ce qui me fait peur, c’est la fin du monde si l’inaction de la Suisse continue…».

Comme cela, ça peut sembler un peu répétitif mais sur le plan psychologique, ces entretiens disent beaucoup de la condition des modernes. Ainsi les figures de ces gens très (éco-)anxieux mais totalement décomplexés quant à leurs capacités prométhéennes: «Je suis prête à être détestée si ça permet de sauver le climat», s’enflamme ainsi la militante Anaïs Tilquin, dans son interview parue la semaine dernière. Et cet ex-post-doctorante d’enfoncer le clou: «L’histoire nous pardonnera!» Si vous avez déjà entendu ça quelque part, c’est normal: Tony Blair avait tenu ces propos mot pour mot au moment de partir en guerre face aux Irakiens en 2003. Curieuse filiation pour madame Tilquin, qui ne semble pourtant pas si idéologue que cela. Regardez, elle promet même de lever immédiatement les blocages dès qu’un véhicule d’urgence serait freiné par sa présence sur la route. Serait-ce que la super-glu, tout compte fait, ne fonctionne pas si bien? RP

Plus écologique que le pape

«Nous devrons franchir le pas d’introduire le péché contre l’écologie dans le Catéchisme». C’est ce qu’affirme le pape François dans un livre récemment sorti en Italie, Je vous en supplie au nom de Dieu. Au programme, dix grandes causes dans lesquelles pourront puiser à choix les candidates aux élections de Miss Monde. Citons-en trois (de causes, pas de miss): guerre dans le monde, lutte contre les fakes news et, donc, militantisme vert (ou plutôt «protection de la maison commune», pour utiliser le jargon vatican). Et le Saint-Père de nous pondre une vérité tout droit sortie d’une interview d’Anaïs Tilquin (voir ci-dessus): «Le moment d’agir, c’est aujourd’hui, pas demain». Quand il aura fini de faire fuir tous les gens de droite de son église (en plus des victimes d’évêques français pédophiles), le pape pourra au moins piquer la super-glu des militants de Renovate pour garder les gens sur les bancs de messe. RP




Le cri du cœur de la quinzaine

Et elle l’a fait savoir sur Twitter: «Je suis en télétravail et une souffleuse est tellement forte que je n’arrive pas à me concentrer. A quand l’interdiction des souffleuses de feuilles à Lausanne? Merci». Contactée, l’écologiste et réalisatrice n’a pas souhaité répondre à nos questions. Il aurait été pourtant intéressant d’avoir son point de vue sur l’éventualité d’interdire tout ce qui lui déplaît et si elle allait transmettre le dossier à un collègue de parti. Ou tout simplement s’il n’était pas plus simple, et plus écologique, de fermer sa fenêtre.




Sur les pavés, le collage

Dans un café biennois, la responsable presse de Renovate Switzerland, Cécile Bessire, explique, non sans manifester à plusieurs reprises une anxiété palpable pour l’avenir, la raison d’être de ce nouveau mouvement citoyen: «Renovate Switzerland est constitué de personnes différentes, certaines d’entre elles se sont rencontrées auparavant dans d’autres organisations. Nos sympathisants ont constaté que toutes les précédentes actions n’ont pas réussi à amener les changements nécessaires. Ils ont ensuite réfléchi aux stratégies les plus pertinentes et efficaces à mener, afin que le gouvernement se mette à agir vraiment pour la cause climatique.»
Certains activistes sont donc des déçus d’autres mouvements écologistes connus tels que la Grève pour le climat ou Extinction Rebellion (XR). La Biennoise, pour sa part, est justement passée par la case XR: «On n’en fait pas vraiment «partie». Se rebeller contre l’extinction, c’est une activité.» Une activité à part entière, puisque Cécile Bessire a abandonné son emploi de logopédiste pour faire de la résistance civile son métier: «Si nous ne le faisons pas, nous risquons de perdre bien plus, à savoir tout ce que nous connaissons, tout ce que nous aimons» décrit-elle, pour le moins confiante quant à la capacité de son mouvement à redistribuer les cartes. «Face à ça, mon confort personnel n’a que peu d’importance.»

«LES JOURNALISTE SONT TRÈS CONTENTS QUE NOUS LES INVITIONS ET QU’ILS AIENT QUELQUE CHOSEÀ RACONTER.»

Cécile Bessire, Responsable presse Renovate Switzerland

Mais mener bataille sur le terrain a un coût, aussi bien matériel que juridique, lorsqu’il s’agit de faire face aux sanctions. La responsable presse énumère plusieurs sources de financement, comme des particuliers qui ne peuvent ou ne veulent pas se coller la main sur des routes. Renovate Switzerland perçoit également de l’argent d’un fonds international pour le climat soutenant des initiatives citoyennes, Climate Emergency Fund (lire en fin d’article).
Les revendications du mouvement sont simples. Il demande au Conseil fédéral de mettre en œuvre un vaste programme de rénovation des bâtiments, aussi bien publics que privés. Cela concerne, selon Renovate Switzerland, un million de constructions, à l’horizon 2040. Quand il s’agit de détailler le montant nécessaire pour mener à bien ce véritable nettoyage des écuries d’Augias, Cécile Bessire reste évasive: «Dans tous les cas, la somme sera moins élevée que les coûts engendrés par la crise climatique si nous n’agissons pas maintenant. Il faut voir la rénovation des bâtiments comme un investissement. Elle améliore le confort de vie, augmente la valeur de biens immobiliers, crée des emplois, etc.»

Tout le monde passe à la caisse

Pour accomplir cet ambitieux projet, Renovate Switzerland prévoit que tout un chacun passe à la caisse via l’impôt. Ainsi, c’est l’argent public qui viendrait augmenter la valeur des biens immobiliers détenus par des privés, souvent aisés.
Une problématique qui ne trouble pas la citoyenne biennoise: «Il faut se rendre compte que nous allons tous payer très cher ces prochaines années à cause de l’inaction du gouvernement durant les trois dernières décennies. Nous allons payer financièrement, mais aussi avec nos vies et notre confort. Il n’y a plus de bonne solution.»
Ce qui peut frapper, surtout lors de la première action menée le 11 avril à la hauteur de la sortie d’autoroute de Lausanne-Malley, c’est la présence de nombreux journalistes dont ceux de la télévision fédérale, avant le début de l’action.
Cécile Bessire explique que les représentants des médias avaient été mis au courant au préalable: «De manière générale, nous pouvons faire confiance aux journalistes. Il suffit d’être clair sur la nature des actions que nous menons. Ils sont, en général, contents que nous les invitions et qu’ils aient quelque chose à raconter.»
L’apparition de ce nouveau mouvement fait réagir Johann Dupuis, conseiller communal de la Ville de Lausanne et spécialiste des questions climatiques. Pour lui, ces formes d’actions coup de poing ne sont pas forcément la meilleure solution: «L’expérience nous montre que les rassemblements de masse avec des revendications clairement articulées sont bien plus susceptibles d’exercer un impact sur le monde politique et l’ensemble de la population. Dix mille citoyens dans les rues auront toujours plus d’impact sur les politiciens que douze personnes isolées. Les manifestations de masse dans l’espace public sont des leviers majeurs des changements démocratiques alors que de telles actions coup de poing s’inspirent en partie du registre militaire et peuvent provoquer du rejet chez celles et ceux qui les subissent.» Il souligne qu’un programme national d’assainissement du bâti est une urgence et que le but de Renovate Switzerland est louable, tout en déplorant que ces fonds alloués soient toujours des subventions aux propriétaires et qu’ils aboutissent souvent à des augmentations de loyer pour les locataires. Cécile Bessire précise que les demandes de Renovate Switzerland incluent la protection des locataires contre cette éventualité.
Les citoyens prenant part aux actions de Renovate Switzerland se revendiquent d’une démarche nécessaire, contraignante mais néanmoins pacifiste. L’est-elle vraiment? Pas si sûr selon Samuel Thétaz, avocat au barreau et associé chez Métropole Avocats à Lausanne: «Le terme terrorisme est sans doute trop fort, mais si on le définit comme l’emploi systématique de la violence pour atteindre un but politique, on s’en rapproche.» Il justifie: «J’estime le blocage d’une voie routière comme relevant d’une violence inouïe faite aux usagers de la route, qui en sont des victimes. Ils ne roulent pas par plaisir, mais pour des nécessités que ces gens ne semblent pas connaître, ou pas vouloir reconnaître. » Si Samuel Thétaz devait un jour défendre un automobiliste impliqué dans un accident avec un membre de Renovate Switzerland, il ne ferait aucune concession: «Je n’aurais aucun scrupule à demander son acquittement pur et simple et à nier toute forme de faute de sa part.»

«Au fond, il s’agit d’une forme de misanthropie. L’homme est mauvais parce qu’il pollue, il convient donc de le haïr.»

Samuel Thétaz, Avocat au barreau associé Métropole Avocats

Une justice complaisante?

Si Samuel Thétaz estime que le cadre juridique suisse est suffisant, il déplore un certain laxisme vis-à-vis des actions climatiques: «Des juges de première instance ont reconnu l’an passé la légitimé politique d’actions de membres d’Extinction Rebellion, en tordant la notion juridique de l’état de nécessité et en faisant prévaloir leurs opinions privées dans leurs jugements. Certains magistrats ne peuvent pas se résigner à faire inscrire une ligne au casier judiciaire d’un prévenu alors que sa lutte leur paraît juste. Nous assistons parfois, stupéfaits, à des acquittements de délinquants au nom d’une loi supérieure, aussi quelquefois, parce que des retraits de plainte sont intervenus.»
Il souligne que l’état de nécessité n’a jamais été retenu par le Tribunal fédéral dans ces cas d’espèce, ni, à sa connaissance, par des Cours pénales de deuxième instance: «Cette rectitude des autorités pénales supérieures ne procède pas simplement de garanties de la sécurité du droit, mais elle permet à la société de ne pas devenir l’objet des tenants de la force. J’appelle de mes vœux la poursuite des manifestants également pour contrainte, dans la mesure où, par leurs actions, ils entravent les usagers dans leur liberté d’action. La contrainte, infraction d’une gravité certaine, relevant d’un délit contre la liberté, est poursuivie d’office, ce qui rendrait d’éventuels retraits de plainte inopérants. Je suis certain que, si ces manifestants étaient condamnés aussi pour contrainte, nous verrions le nombre de candidats à ces navrantes opérations diminuer en flèche.»
La virulence de ce type d’interventions n’est pas de nature à décourager la Biennoise Cécile Bessire: «Je les comprends, car ce que nous faisons est désagréable, aussi bien pour les personnes prises dans les bouchons que pour nous. Les gens sont fâchés car nous les perturbons dans leur routine et c’est compréhensible. Nous y sommes préparés et nous savons que nous ne sommes pas là pour être appréciés. La plupart des participants n’ont pas envie de faire ça. Nous sommes forcés de le faire.»

Qu’est ce que Climate Emergency Fund?

On peut lire sur le site de Climate Emergency Fund que le fonds a été créé par «un groupe prestigieux de philanthropes ayant des liens avec le monde des affaires et de la politique».
Parmi ces fondateurs, on retrouve Trevor Neilson. Il a officié en tant que directeur exécutif de «Global Business Coalition», un groupe de santé mondiale créé grâce aux investissements de Bill Gates, George Soros et Ted Turner.
Toujours selon le site, le fonds a été inspiré, en partie, par des étudiants protestataires comme Greta Thunberg. Ses organisateurs ont déclaré qu’ils travaillaient avec de jeunes militants aux États-Unis, comme Katie Eder, qui dirige la Future Coalition, pour offrir des «kits de démarrage pour militants». Ils recevront des outils tels que des porte-voix et des documents imprimés.
Le message de Trevor Neilson est clair: «Si vous êtes un enfant qui veut lancer quelque chose, nous vous soutiendrons. Les adultes vous ont laissé tomber dans la lutte contre le changement climatique.» Il faut toutefois noter la présence de Willy, Pascale, Eric ou encore Christian dans les rangs de Renovate Switzerland, les quatre un brin plus âgés que des «enfants».
Climate Emergency Fund explique avoir déjà financé 83 organisations, formé près de 20 mille activistes climatiques et mobilisé plus d’un million de militants, depuis sa création en 2019. Rien que cette année, 1,7 million de dollars ont été engagés pour 23 formations qualifiées de «courageuses et ultra-ambitieuses».
Parmi ces formations, quelques noms connus figurent: Scientists Rebellion, un Extinction Rebellion constitué de scientifiques. Une action avait été menée au début du mois d’avril à Berne. Just Stop Oil est aussi financé par le fonds. La demande du collectif est très claire: l’abandon de l’utilisation des énergies fossiles.