Combat pour la liberté

Un profil psychologique fort actuel, la mort sociale ayant remplacé la peine capitale, mais dont Orwell a pourtant assez mal anticipé l’activité professionnelle. Car Syme, dans la dystopie, est un destructeur, pur et dur: «Vous croyez, n’est-ce pas, que notre travail est d’inventer des mots nouveaux? Pas du tout! Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os», se réjouit-il.

Taillé jusqu’à l’os, notre langage l’est assurément. Comment pourrait-il en être autrement quand des leçons de respect mutuel prennent la place du français dans des classes d’école peuplées de petits illettrés? Mais c’est une des ruses de notre époque de contribuer aussi à cette décadence sous prétexte d’enrichissement du langage, à l’image de la récente introduction de l’angoissant «iel» dans le dictionnaire. Prenons la multiplication des «phobies»: comment préserver un langage commun lorsque le moindre désaccord avec le néo-puritanisme ambiant peut vous valoir d’être accusé d’un nouveau succédané de racisme tout juste sorti d’une faculté de sciences humaines? Comment garder le sens du réel quand de pures projections de l’esprit, comme la non-binarité des genres ou l’éco-anxiété, prennent davantage de place dans les médias classiques que le souci, très concret, du pouvoir d’achat? En résulte une tyrannie de l’émotion: les personnalités parlent avec leurs tripes, croquent dans la vie à belles dents ou se lâchent totalement. Mais qui tendra le micro à ceux qui voudront garder un peu de l’épaisseur de la tragédie antique ou de la Passion chrétienne, sur laquelle une civilisation admirable a pu être bâtie? Doit-on se résoudre à ce que la complexité des sentiments ne quitte une société tout entière tournée vers le progrès, assimilé à n’importe quelle lubie? Doit-on accepter que tout ce qui est ancien, tout ce qui est beau, comme chez Orwell, finisse par devenir suspect?

Au Peuple, nous faisons le pari du tragique. Nous donnons la parole à ceux, qu’ils soient de gauche ou de droite, qui refusent le manichéisme, le déterminisme et la caricature. Pas que nous soyons toujours d’accord avec eux, mais simplement parce qu’ils défendent un monde où l’on peut dialoguer en adultes. Parce qu’eux aussi refusent un avenir où, si le progrès l’exige, nous devrons nous résoudre à croire que deux et deux peuvent faire cinq.




De nouveaux mots pour de grands maux

Si vous n’avez pas encore songé à «chiller» avec votre «go», c’est sans doute que vous n’êtes qu’un «babtou fragile» qui n’a pas encore investi dans les «NFT». Vous êtes encore avec nous? Merci et bravo pour l’effort. Ne vous en faites d’ailleurs pas si vous n’avez rien compris à cette prose sous acide: c’est tout simplement que vous êtes un individu ordinaire, chose qui équivaut aujourd’hui à un titre de noblesse sous l’Ancien Régime.

Ces mots obscurs font partie des nouvelles entrées remarquées du Petit Robert 2023 qui, d’après Midi Libre, «s’enrichit chaque année pour répondre aux nouvelles habitudes de langage des Français». Et quelle richesse, en effet, que de voir apparaître dans un ouvrage de référence des expressions et des termes que n’importe quel parent à peu près normalement constitué interdit à ses enfants. Chroniqueur littéraire de votre publication préférée, et professeur de français dans la vie, Paul Sernine parait d’ailleurs un brin désabusé: «Jadis, on ne parlait pas tellement des nouveaux mots du dictionnaire. Actuellement c’est un passage obligé dans la presse. Je pense que cela ne va pas changer grand-chose, si ce n’est que cela enlaidit la langue (“go”, “woke”) et impose un cadre idéologique (“iel”). Pour moi la référence reste la seconde édition du Littré!», assène cet amoureux de la langue, fermement cramponné à son dico des années 1870.

Surtout, l’introduction du «iel» apparaît comme un coup dur porté à ceux qui, comme le député UDC valaisan Damien Raboud, s’engagent pour défendre une langue classique, reflet de la division de l’espèce en deux sexes sur le plan biologique, donc sans exotismes comme les «non-binaires» et autres personnalités «gender fluid». Un combat contre l’écriture inclusive qui s’est soldé par une victoire d’étape, dans son canton, avec une directive excluant désormais l’utilisation de la langue inclusive des services de l’administration. Enfin, en théorie: «Cette petite heure de gloire s’est révélée bien éphémère», constate le député, qui avait porté un postulat sur le sujet en 2021 avec son collègue Alexandre Cipolla. «De fait, avec les innombrables institutions paraétatiques, on sait bien que ce texte est constamment contourné.» Preuve en sont les nombreuses captures d’écran qu’il reçoit régulièrement de camarades zélés, et confrontés à la novlangue à leur poste de travail. «Parfois on ne sait plus quoi faire: prendre du recul et rigoler, ou continuer à se battre.»

Journaliste et écrivain, Myret Zaki tempère: «Intégrer des mots dans le Petit Robert ne devrait pas faire polémique, car les inclure ne revient pas à les soutenir, sauf s’il y a désaccord avec la définition choisie.» Si cette dernière s’avère suffisamment neutre, elle y voit simplement un moyen de comprendre ce que veut dire un mot devenu omniprésent et donc difficile à ignorer. Et de poursuivre: «Il est cependant vrai qu’inclure un mot dans un dictionnaire de référence en légitime l’usage, confère une sorte de sceau de la république, mais encore une fois il s’agit surtout d’acter le fait que ces mots sont déjà très largement employés par les médias francophones, tant par leurs partisans que par leurs détracteurs.»

Journaliste économique, elle tente l’analogie suivante: «Les mots sont comme les monnaies, qui à force de circuler, ont cours légal. Le lexique woke ou les néologismes technologiques, c’est un peu comme l’argot des décennies passées, c’est une culture informelle qui se généralise au point qu’il lui faut devenir formelle pour que le dico serve son but.»

Au Peuple, nous opterons – une fois encore – pour la solution du combat des idées. Il consiste dans notre cas à privilégier une langue classique, dans la mesure de nos possibilités, quitte à susciter la «gênance». Un barbarisme que notre traitement de texte continue fort heureusement de surligner comme une erreur d’orthographe.

Grand moment de bravoure

Kim de l’Horizon», originaire de Suisse, qui vient de recevoir le Prix du livre allemand pour son premier roman Blutbuch (ndlr livre de sang). L’artiste non binaire a rasé sa tête (mais pas sa moustache) sur scène en signe de solidarité avec les femmes qui manifestent en Iran. Bravo à ielle

Nombreuses sont les manières de détruire les Lettres. On peut remplacer les cours de français à l’école par des leçons de respect des minorités ou maltraiter la langue à l’infini, mais on peut également mettre en avant des militants déguisés en artistes pour discréditer la littérature. Ainsi la figure de «Kim de l’Horizon», originaire de Suisse, qui vient de recevoir le Prix du livre allemand pour son premier roman Blutbuch (ndlr livre de sang). L’artiste non binaire a rasé sa tête (mais pas sa moustache) sur scène en signe de solidarité avec les femmes qui manifestent en Iran. Bravo à ielle! RP

Notre sélection

• Ecoanxiété : terme invoqué par des militants pour le climat qui paralysent les routes (voir p. 2) afin de réclamer une justice d’exception. Également utilisé pour réclamer des sous, sans travailler, aux contribuables.

• Iel : contraction de «il» et «elle» visant à donner une réalité à un phénomène quasi inexistant sur le plan biologique, à savoir la non-binarité de genre.

• Babtou fragile : expression d’origine africaine visant à dénigrer le mâle blanc, perçu comme physiquement faible et largement défaillant sur le plan de la virilité.

• Go : tiré de l’argot ivoirien, le terme désigne une jeune femme, voire une petite amie. Sans être péjoratif, il s’utilise en général dans des cadres très majoritairement masculins.

• Wokisme : nouvelle religion mondiale. L’apostasie entraîne la mort sociale.

• Brouteur : arnaqueur généralement africain. Très actif sur internet auprès des boomeurs, auxquels il promet richesse et luxure.

• Gênance : issu du langage adolescent, ce mot a le même sens que la «gêne», mais a l’utilité d’avilir encore un peu plus la langue.