Des autorités condamnées à parler dans le (co)vide

Début octobre, l’eurodéputé Rob Roos avait face à lui Janine Small, responsable des marchés internationaux de la société pharmaceutique Pfizer, lors de la session du Parlement européen. Le politicien de la droite conservatrice néerlandaise n’y est pas allé par quatre chemins pour lui poser la question qui fâche: «Le vaccin Covid de Pfizer a-t-il été testé sur l’arrêt de la transmission du virus avant d’être mis sur le marché ? Si non, veuillez le dire clairement. Si oui, êtes-vous prête à partager les données avec ce comité ? Et je veux vraiment une réponse franche, oui ou non. J’ai hâte de la recevoir.» «Connaissions-nous l’effet sur l’arrêt de la transmission avant la mise sur le marché? Non», a simplement répondu Janine Small, expliquant que Pfizer avait «vraiment dû avancer à la vitesse de la science» et «tout faire dans le risque» (ndlr: we had to do everything at risk). La suite de l’histoire est classique: la vidéo est devenue virale sur les réseaux sociaux, créant une certaine méfiance envers Pfizer auprès de certains publics.

Le Peuple s’est adressé à l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) afin de connaître sa réaction aux déclarations de la représentante de Pfizer. Nous avons été redirigés vers l’Institut suisse des produits thérapeutiques (Swissmedic). Lukas Jaggi, son porte-parole, nous a confié que «les études initiales d’autorisation de mise sur le marché ont démontré une protection supérieure à 90% contre les infections symptomatiques», ajoutant que «dans le cadre des expériences avec des millions de personnes vaccinées et aussi en raison de l’évolution rapide des variants (changements du virus), nous avons observé que le vaccin protégeait moins bien contre les infections symptomatiques non graves, mais de manière toujours très fiable contre les évolutions graves (hospitalisation et décès) du Covid-19.» Enfin, il a tenu à rappeler que «bien que les vaccins ne garantissent pas une protection à 100% contre la transmission, ceux contre le Covid ont été le principal facteur qui a contribué à enrayer la pandémie et à réduire les décès et les hospitalisations. Sans les vaccins, il y aurait eu beaucoup plus de morts et de personnes qui auraient été affectées par le Covid long.»

Deuxième couac

Une autre information, plus troublante, devait être publiée le 2 novembre par Swissmedic: des bulles d’air venaient d’être découvertes dans le vaccin contre le variant Omicron par certains centres de vaccination. Deux jours plus tard, l’Institut suisse des produits thérapeutiques annonçait qu’il n’avait identifié aucun problème concret en rapport avec ce produit. Les bulles observées pourraient être dues à des facteurs physiques (écarts de pression ou de température notamment) lors de la préparation des doses. Or cette manipulation doit être impérativement réalisée selon les prescriptions du fabricant. Selon Lukas Jaggi, informer la population sur des lots suspects puis procéder à des analyses fait partie d’un processus standard: «Toutes les annonces d’anomalies concernant des médicaments présentent un intérêt pour Swissmedic. L’institut continue à suivre la situation de près ainsi qu’à prendre en compte tous les incidents annoncés, et publiera de nouvelles informations dès qu’il en disposera.»

Une simultanéité malheureuse

C’est dans ce contexte un peu tumultueux que fleurissent depuis quelques semaines des affiches encourageant à procéder à la vaccination de rappel. Et là encore, certains éléments peuvent surprendre: sur les supports, nous pouvons distinguer différents types de bras, des plus «jeunes» au plus «âgés». Or, la Confédération estime que la quatrième dose s’adresse aux «personnes de 65 ans et plus, personnes de 16 ans et plus atteintes d’une maladie chronique, aux personnes de 16 ans et plus atteintes de trisomie 21 et aux femmes enceintes». De plus, des personnes quarantenaires et en bonne santé ont également reçu des SMS de rappel de la part des autorités cantonales. De quoi s’interroger sur un éventuel décalage entre la communication et la réelle situation sanitaire. Pour l’OFSP et son porte-parole, Simon Ming, la campagne s’adresse à tous: «Outre les personnes vulnérables, pour lesquelles il existe une forte recommandation, toutes les personnes à partir de 16 ans peuvent recevoir une vaccination de rappel. Leur risque de développer une forme grave à l’automne 2022 est très faible. Le rappel offre une protection limitée et de courte durée contre une infection et une forme bénigne de la maladie. Cet aspect peut se révéler important particulièrement pour les professionnels de la santé et les personnes assurant la prise en charge de personnes vulnérables.»

Nasrat Latif, journaliste et expert en communication pour l’agence Nokté, rappelle que mener une nouvelle campagne de vaccination après des annonces plus ou moins gênantes ne se commande pas: «Les autorités doivent mener une campagne et elles le font. Il est donc logique qu’elles le fassent. Dans les deux cas que vous mentionnez, il est plutôt rassurant que les informations sortent. Si des choses ne vont pas, c’est la moindre des choses de le dire. Après, à chacun de penser ce qu’il veut de ces informations.»
Le communicant a tout de même des remarques à faire sur les nouvelles affiches: «Les images montrent effectivement différents «types» de bras. Il y en a autant des «jeunes» que des «âgés», également de la mixité sociale. En terme de communication générale, ça manque d’émotion mais c’est normal dès que l’on mène une campagne nationale.» La seule solution pour renforcer l’impact de la publicité pour le vaccin reste simple. «Il serait bon d’adapter les messages en fonction des régions, mais dans ce cas précis, le budget communication augmenterait de manière importante», juge Nasrat Latif. Et pas question de jouer sur la peur non plus: «En Suisse, cela ne fonctionnerait pas, d’autant que le danger ne se voit plus, pour le moment.»




Coupables d’avoir obéi

Afin de contrer la progression du variant Omicron du Covid-19, le gouvernement valaisan annonçait, le 6 janvier 2022, une série de mesures dont le port du masque obligatoire en milieu scolaire et ceci dès la 5H (8 à 9 ans). Le Département de la formation, par son règlement d’application du 10 janvier 2022, stipulait sous «élèves», lettre «e»: «L’élève dont les parents refusent qu’il porte le masque reste à domicile». Un petit nombre de parents, convaincus de bonne foi de se conformer à la directive, ont alors décidé de ne pas envoyer leurs enfants en classe. Mal leur en a pris puisqu’ils ont reçu une amende de 600 francs par enfant non scolarisé. Un montant important, qui s’appuie sur le règlement concernant les congés et les mesures disciplinaires applicables dans les limites de la scolarité obligatoire du 14 juillet 2004.

Pour défendre les parents punis: Cynthia Trombert. Cette élue UDC au Grand Conseil et présidente du Collectif Parents Valaisans s’insurge contre la décision du Conseil d’État. Par voie de communiqué, elle rapporte que «le Département de la formation a cru bon de dénoncer aux inspecteurs scolaires des parents pourtant bienveillants, soucieux de la santé de leurs enfants. Autrement dit, et en toute contradiction, le département a décidé de punir les parents qui ont respecté à la lettre son propre règlement.» Jean-Philippe Lonfat, chef du Service de l’enseignement, refuse pourtant de qualifier cette histoire de confusion administrative: «Un élève concerné par l’obligation du port du masque et dont les parents refusaient cette obligation ne pouvait pas se rendre à l’école pour des raisons épidémiologiques et de santé publique à la suite d’un choix parental. La conséquence du refus du port du masque étant une non-scolarisation de l’enfant, il s’agit d’une absence injustifiée.» Il complète: «Moins d’un élève pour mille est concerné. Durant la première semaine de janvier, 70 parents n’avaient pas envoyé leur enfant à l’école, après discussion et information de la part des directions, seules 24 familles ont persisté dans cette voie et ont fait l’objet d’une procédure.»

Dans le même communiqué de presse, Cynthia Trombert signale qu’elle avait déposé un postulat urgent durant la session de mars 2022, afin d’attirer l’attention du Parlement sur la situation et de pouvoir en débattre. L’urgence ayant été refusée par le Bureau du Grand Conseil, le débat n’a pas eu lieu concernant la question des amendes durant les sessions parlementaires de mai, juin et septembre, dépassant ainsi le délai habituel de six mois pour traiter un texte déposé.
Cynthia Trombert trouve cette attente inacceptable: «Des parents sont pris au piège entre des ordres qui partent dans tous les sens».

Contacté, Nicolas Sierro, chef du Service parlementaire, nous a expliqué que «cette intervention suit le même processus que toutes les autres. Compte tenu de l’augmentation de près de 40% des textes déposés durant cette législature par rapport à la précédente, le délai de six mois pour leur développement devant le Grand Conseil ne peut actuellement pas être tenu. Les textes déposés en mars de cette année seront inscrits à l’ordre du jour de la session de novembre, qui se tiendra du 15 au 18 novembre.»

Cynthia Trombert est finalement repartie à l’assaut le 13 septembre, une nouvelle fois par la voie d’une interpellation, cosignée par son collègue Pierre Contat, ainsi que Frédéric Carron et Sophie Sierro, tous deux anciens Verts devenus indépendants. Dans ce nouveau texte, les élus écrivent: «La question se pose à l’évidence de l’opportunité, pour le département, de s’obstiner pour l’exemple à imposer ces amendes ou au contraire, de passer l’éponge pour restaurer le calme et la sérénité dans le canton et dans ses écoles. Questionné à ce sujet, Jean-Philippe Lonfat nous répond qu’il n’est pas question de revenir sur ces amendes: «En l’état, aucun élément nouveau ne remet en question notre décision.» Et pas question non plus de rendre public le nombre d’amendes réglées jusqu’au délai donné, soit le 30 septembre: «Comme des procédures sont encore en cours, nous ne communiquons pas ce chiffre.»
En parallèle, cette histoire, qui devrait trouver une conclusion en novembre, a fait deux victimes collatérales: les cosignataires Frédéric Carron et Sophie Sierro, respectivement agriculteur bio et immunologue. Par leurs prises de position et leurs ponctuelles alliances avec les élus UDC, ils se sont vus excommuniés du groupe parlementaire des Verts. Sophie Sierro explique que, chez les écologistes, il faut s’aligner: «Quand nous avons été recrutés pour les élections, on nous a promis que, dans le parti, chacun pouvait exprimer son opinion. La réalité est bien différente. Il semble interdit de la donner en public.» Selon l’intéressée, il y a eu une tentative de médiation et plusieurs solutions ont été proposées, mais celle qui a été retenue n’a été autre que le chemin de la porte. L’élue se dit heureuse de ne plus appartenir à un groupe parlementaire: «Je n’ai pas envie de devoir obéir à quelqu’un qui me dit ce que je dois penser.»




BERNE MANIE LA MENACE FANTÔME

Déjà adepte des grandes déclarations à la «en même temps», Macron semble désormais avoir basculé en crise orwellienne. Le 5 septembre dernier, sans prévenir, le locataire de l’Elysée lâchait: «La meilleure énergie est celle qui n’est pas consommée.» Inspiré par les paroles de Jupiter, Xavier Company, municipal Vert lausannois chargé des services industriels, s’exprimait mot pour mot de la même manière dans 24 heures du 16 septembre. Mais face à la crise énergétique à venir, le Conseil fédéral vient de proposer une étonnante variante de la déclaration macronienne: le meilleur contrôle est celui qui n’est pas effectué.

«On tombe en tout cas dans un État où il est devenu acceptable de juger et contrôler la vie d’autrui. Une partie de la population est très heureuse de jouer au flic chez le voisin, malheureusement.»

Jérôme Desmeules, élu UDC au parlement valaisan

Revenons sur nos pas. Un article paru sur le site de Blick le 6 septembre nous apprenait que nous, citoyens et entrepreneurs, risquions la peine pécuniaire, voire la prison, si nous osions trop chauffer nos foyers. Plus précisément, le papier mentionnait une peine de trois ans de prison en cas d’infraction délibérée aux directives et précisait qu’en cas d’infraction par négligence une peine pécuniaire pouvant aller jusqu’à 180 jours-amende était possible. En cas de pénurie, il sera donc interdit de chauffer son foyer à plus de 19°, de bouillir l’eau au-dessus de 60° (on rappelle ici volontiers que l’eau est censée bouillir à environ 100°, vive les spaghettis mal cuits) ou d’utiliser un chauffage d’appoint électrique.

On devient vite criminel de nos jours

Dans ce même article, le porte-parole du Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR), Markus Spörndli, brandit la grosse menace: «Les infractions à la loi sur l’approvisionnement du pays sont toujours des délits, voire ponctuellement des crimes, et doivent être poursuivies d’office par les cantons.» Des crimes, rien que ça… Voilà qui méritait bien une liste étoffée de questions de la part du Peuple. Nous souhaitions notamment savoir à quel moment ces mesures seraient ordonnées, comment, précisément, les contrôles seraient effectués, ou si nous devions nous attendre à des visites de contrôle de la part des policiers. A cette douzaine de questions, Markus Spörndli répond ceci: «À l’heure actuelle, il n’y a ni pénurie d’électricité ni pénurie de gaz en Suisse, c’est pourquoi aucune restriction ni interdiction d’utilisation n’est en vigueur. Il ne peut donc y avoir d’infraction à de telles dispositions. L’administration est en train de préparer des mesures de restriction et d’interdiction pour le cas où une pénurie grave surviendrait. Un projet d’ordonnance en prévision d’une pénurie de gaz est actuellement en consultation auprès des milieux intéressés.» Mieux, le communicant avoue, à demi-mots, que les contrôles ne pourront pas vraiment être effectués: «L’essentiel est qu’il ne serait pas possible ni souhaitable de contrôler étroitement le respect des prescriptions. En Suisse, nous tablons sur le fait que la population respecte la loi.»

Des menaces largement irréalistes

Jérôme Desmeules, élu UDC au parlement valaisan, juge ridicule de brandir des menaces d’amende ou d’emprisonnement: «Cela tient de la plaisanterie et démontre que le gouvernement n’est pas prêt à l’éventualité d’une telle crise. Si nous nous retrouvons dans une telle situation énergétique, c’est à cause de la politique suisse, opportuniste, qui a tourné le dos au nucléaire pour des motifs électoraux. Le pire est que les politiciens n’assument pas. Certains disent encore que cela n’a rien à voir avec les décisions du passé.» Pour François Pointet, conseiller national vaudois Vert Libéral, les contrôles à domicile semblent absolument irréalisables: «À mon avis, il n’y aura pas la possibilité de venir mesurer la température des chambres chez les privés. En effet, il faut un mandat de perquisition pour pouvoir pénétrer dans un lieu privé. Il faut comprendre que de telles punitions doivent être prévues pour des personnes se permettant, par exemple, de continuer à utiliser des chauffages sur les terrasses, ou d’autres aberrations visibles.»

Vers l’état policier?

Ces menaces et ces potentiels contrôles pourraient laisser à penser que la Suisse se transforme peu à peu, après un premier épisode Covid, en état policier. Jérôme Desmeules nuance: «On tombe en tout cas dans un État où il est devenu acceptable de juger et contrôler la vie d’autrui. Une partie de la population est très heureuse de jouer au flic chez le voisin, malheureusement.» Parler d’état policier semble un tantinet trop fort pour François Pointet: «Nous ne sommes pas au point où les policiers auront la possibilité de rentrer chez chacun pour faire des contrôles. Il faudrait encore lever la nécessité d’avoir un mandat de perquisition. Il est clair que les lieux publics seront plus facilement soumis aux contrôles.» D’autant plus que la situation n’est pas similaire, selon lui, à celle vécue lors de la crise du Covid. «Nous avons vu, durant le Covid, que la population a plutôt bien suivi les prescriptions. Pour l’essentiel, les seuls débordements qui ont été dénoncés concernaient des lieux publics. On peut partir du principe que nous aurons la même situation dans le cas de cette ordonnance. La situation politique est toutefois différente, le Parlement n’a pas été arrêté, son travail d’éventuel contre-poids au Conseil fédéral sera donc plus simple», complète-t-il.

De quoi se demander ce que le gouvernement choisira pour se faire obéir de la population. Des slogans niais et des affiches infantilisantes, comme il y a deux ans avec le virus?




La décroissance malheureuse

«Tout de même, avons-nous entendu à propos de notre dernier numéro, n’y avait-il pas sujet plus sérieux à mettre en Une qu’une pâtisserie lausannoise qui vend des gaufres en forme de pénis?». Ou alors, à propos des feux du 1er Août, «est-ce bien là le cœur de la célébration?». Nul doute que cette fois encore, d’aucuns nous reprocheront de consacrer trop d’importance à la décision des chaînes de magasins de bannir les illuminations de Noël, «pénurie oblige», au lendemain à peine des recommandations de Berne.
«Covid oblige», «écologie oblige», «pénurie oblige»… Telles sont les ritournelles que l’on nous sert désormais pour accompagner chaque nouveau rognage de nos libertés. On ne nous fait plus miroiter la «sobriété heureuse», inaccessible aux médiocres, mais on nous sert le malheur responsable. Et si nous haussons les épaules, si nous n’exultons pas lorsqu’on nous présente nos nouvelles servitudes sous la forme de «challenges», c’est qu’un «effort de pédagogie» reste à accomplir du côté de nos bons maîtres.
On a pu lire beaucoup de choses, à propos du journal que vous lisez. Par des rapprochements pas si subtils, certains ont même tenté de nous faire passer – et rien ne pourrait être plus éloigné de la réalité – pour des hommes d’ordre. Des excités rêvant d’États forts qui penseraient à notre place, même! La réalité est que nous vivons très douloureusement non pas la fin d’une ère d’abondance, mais la mort progressive de nos libertés. Alors il n’y aura plus d’illuminations dans les magasins à Noël: à vrai dire, nous n’y tenions pas, n’ayant pas encore délégué à la grande distribution la charge de maintenir vivante notre identité. Mais une fois de plus, comment ne pas constater que ce sont toujours les vestiges de notre folklore qui, les premiers, doivent s’effacer devant le monde qui vient? Nous qui ne nous sommes pas encore soumis à la «discipline grégaire», comme disait Bernanos, nous pouvons encore le déplorer. Mais ceux pour qui la naissance d’un Dieu sauveur équivaut à la naissance d’un monstre de spaghetti volant (si, si, ça existe), au nom de quoi se révolteront-ils en fin d’année?
Pasolini avait écrit une très belle lamentation: il disait qu’il pleurait un monde mort, mais que ce faisant, lui n’était pas mort. Notre révolte, la seule qui nous anime, vise à maintenir notre dignité de citoyens face au totalitarisme qui s’installe sous nos yeux. Et à le combattre même quand il sévit avec d’excellents prétextes.




Du Covid aux pénuries, l’autoritarisme mou

La stratégie «de la carotte et du bâton». C’est ainsi que nos confrères de 24 heures, au début du mois, ont synthétisé l’ensemble des mesures proposées par Berne, avec le soutien d’une large coalition d’acteurs économiques et politiques, pour faire face aux menaces de pénuries d’énergie. Au menu, des «recommandations» aussi basiques que remplir complètement le lave-vaisselle avant de l’utiliser, bien essorer le linge ou – nous citons – «aérer intelligemment» sa demeure.

Pas peur du ridicule

Autant de bons conseils qui nous forcent à faire un constat clair: face aux enjeux de taille, les dirigeants ne craignent plus d’assumer un certain ridicule en se substituant aux cadres familiaux, où se passaient naguère ces savoirs. «Ces conseils me font rire dans la mesure où les plus généraux invitent à faire ce que les vieux de mon genre font, s’amuse d’ailleurs Suzette Sandoz, ancienne Conseillère nationale libérale. Cuire avec un couvercle, faire bouillir l’eau dans une bouilloire plutôt que dans une casserole, éteindre la lumière systématiquement, se doucher plutôt que se baigner.» Là où l’affaire devient moins amusante, c’est quand Berne menace de manier le bâton, pardon, de faire recours à un «appel plus pressant», dans le langage du Conseiller fédéral Guy Parmelin. Il est ainsi prévu que, si le volontarisme ne suffit pas, les Cantons se muent en policiers de la consommation d’énergie dans les ménages, pour éviter notamment que ces derniers soient chauffés au-delà de 19 degrés. «Ce qui est sûr, c’est qu’une surveillance dans les maisons individuelles serait irréalisable, conclut Suzette Sandoz. Ce sont les éventuels modes de surveillance qui m’inquièteront.»

Un héritage en question

Co-fondateur du Mouvement Fédératif Romand, né de l’opposition à la loi Covid, Daniel Rousseau va encore plus loin. Pour lui, cette façon d’agiter la carotte et le bâton est un héritage clair de la gestion de la pandémie: «La recette est assez simple: il faut agiter le drapeau de la peur sur nos libertés en décrivant le pire. Dans un second temps, on annonce au peuple que c’est moins pire que prévu pour le convaincre qu’il doit accepter aujourd’hui ce qu’il aurait refusé hier. Ce concept s’appelle ʻla soumission librement consentieʼ et il est largement utilisé dans la vente.» Une illusion démocratique qui le conduit à la question suivante: «La manipulation psychologique pour le bien commun est-elle justifiée?»

«Ces conseils me font rire dans la mesure où les plus généraux invitent à faire ce que les vieux de mon genre font.»

Suzette Sandoz, ancienne Conseillère nationale libérale

Président du groupe Ensemble à Gauche au Conseil communal de Lausanne, Johann Dupuis tempère: certes, l’approche a été utilisée pour le Covid, mais non, elle n’a pas été inventée pour lui. Il s’agirait en réalité d’un héritage néolibéral de l’ère Thatcher-Reagan, dans les années 80: «L’état ne doit plus réglementer ni même réguler, mais informer, conseiller voire tout au plus inciter à». Une posture qui le pousse à invoquer la possibilité d’interdictions uniquement en cas de crise grave, ou «comme une espèce d’épée de Damoclès qui interviendrait seulement pour venir trancher une main invisible éventuellement égarée».
Un nouveau mode de «management» des peuples qui, quelle que soit son origine, laisse ouverte une question fondamentale: combien de temps un peuple unifié par le désir de liberté acceptera-t-il de se laisser mener avec une carotte et un bâton, à la manière des ânes?




Russophile sans crainte et sans reproche

Guy Mettan, vous avez récemment donné une conférence aux Ateliers de la Côte, à Etoy (VD), qui a fait jaser. On vous accuse notamment d’être devenu un «troll* du pouvoir russe». Cela vous fait quoi?

C’est une accusation qui est assez fréquente à mon sujet. C’est une manière de verser à la fois dans l’insulte et dans l’amalgame, en faisant appel à deux notions taboues, «troll» et «Poutine», qui sont censées faire fuir tous les gens respectables. Il y a deux faiblesses dans ce discours : d’une part, je n’ai jamais rencontré Poutine. Je l’ai croisé dans des événements, mais je ne prends pas non plus mon petit-déjeuner avec lui. D’autre part, quand j’écris sur la russophobie ou sur l’Europe, je ne fais pratiquement jamais référence à des auteurs russes. Je les lis pour savoir ce qu’ils pensent et ce qu’ils disent, mais je ne les cite pas pour ne pas pouvoir être accusé de «trollisme poutinien». Je prends toujours des sources de journalistes d’investigation généralement américains.

Malgré le contexte de la guerre en Ukraine, vous ne cachez pas votre russophilie…

Oui, mais comme je ne cache pas mon américanophilie, ma francophilie, ma germanophilie… J’aime tout le monde. J’ai simplement un rapport particulier avec ce pays depuis l’obtention de la double nationalité au moment de l’adoption de notre fille Oxana. C’est ce qui m’a conduit à le connaître d’une façon particulièrement étroite.

Ces derniers mois, y a-t-il eu un moment où vous avez été tenté de la mettre en sourdine sur ce sujet?

Non, parce que je suis un adepte du vrai journalisme, qui repose sur la transparence. Quand on cache ses liens d’intérêts, on trompe son lecteur. Or ce qui m’horripile, dans les médias installés, c’est que beaucoup de journalistes sont inféodés à l’atlantisme alors qu’ils ne le disent pas et ne le reconnaissent pas.

Peut-être parce qu’ils n’en ont pas conscience, tout bêtement?

Oui, mais c’est tout aussi grave. Si on prétend informer les gens, il faut savoir d’où on tire ses informations ou à quel système de valeurs on se réfère. Moi, j’aime la transparence et c’est pourquoi je n’ai jamais caché ma double nationalité ainsi que les raisons pour lesquelles je l’avais obtenue. Elle n’a d’ailleurs rien à voir avec Poutine puisque c’était Eltsine qui était président à l’époque et qui me l’a accordée.

Avec votre rapport à ce pays, vous avez le sentiment de faire figure d’exception dans les médias romands?

Il y a un ou deux journalistes comme moi mais c’est très rare. Dans l’opinion publique, cependant, les choses sont différentes puisqu’on sent une bonne partie de l’opinion ouverte aux idées critiques et qui ne se contente pas de la soupe de propagande qu’on lui sert habituellement. Comme dans le cas de la crise Covid, je dirais que cela représente un bon tiers de la population. Sur ce tiers, on peut encore descendre à 10 à 15% de personnes qui suivent vraiment l’actualité et qui trouvent les faits que j’expose crédibles. Elles sont en tout cas d’accord que l’unilatéralisme actuel n’est pas acceptable.

Vous faites référence au Covid, dont il est beaucoup question dans votre livre. Autant votre connaissance de la Russie est indiscutable, quoi qu’on pense de vos positions par ailleurs, autant vous vous aventurez là dans un domaine qui n’est pas le vôtre. N’est-ce pas risqué?

Je ne suis ni épidémiologiste ni médecin, en effet. Je suis un citoyen dont le métier consiste à poser des questions puis à juger de la qualité des réponses qu’on lui donne. Quand je constate qu’il y a des choses qui ne collent pas, je le fais savoir. Mais ce n’est pas non plus le cœur de mon livre. Ce que j’ai essayé de dénoncer, c’est la «tyrannie du Bien», qui est multiforme. Il y a la variante de droite qui impose une vision totalitairement économique, néo-libérale du monde, avec son vocabulaire du management. Et il y a la version de gauche, avec tout son verbiage wokiste et antiraciste, qui cherche à imposer le point de vue des minorités à la majorité…

Vous comparez néanmoins le «vaccinisme» à un totalitarisme…

J’étais content que l’on trouve des vaccins, mais je demande pourquoi l’on ne s’est jamais intéressé à ceux des Chinois, des Russes ou des Cubains, citoyens d’un tout petit pays qui en a produit cinq! Une autre chose que la presse aurait dû soulever, c’est que la gestion d’une épidémie est une question politique, et pas uniquement sanitaire, du moment que l’on entrave des libertés fondamentales, de mouvement, de culte, de commerce… Le minimum, dans un tel cadre, aurait été qu’il puisse y avoir un débat. Surtout que pour grave qu’elle ait été pour beaucoup de personnes, cette épidémie n’a pas non plus représenté le retour de la peste noire.

Est-ce que vous assumez le fait d’être devenu l’un des visages du «complotisme»?

C’est la manière actuelle de discréditer n’importe quelle voix critique, même quand elle pose des questions valables. C’est un procédé inacceptable, surtout de la part de personnes qui prétendent défendre la liberté d’expression. Mais c’est plus leur problème que le mien, moi je ne prétends pas avoir la science infuse, juste poser des questions. C’est d’ailleurs par le doute que progresse la science, pas par la certitude.

Votre carrière a été riche, tant du côté journalistique que politique. Est-ce que vous vous radicalisez sur la fin?

Tout ma vie, j’ai été un critique et je n’ai pas l’impression d’avoir beaucoup changé. En revanche, ce qui a beaucoup évolué depuis l’époque de mes études, c’est qu’à l’époque les regards critiques se trouvaient surtout à gauche et à l’extrême-gauche. Aujourd’hui, cette sensibilité a pratiquement disparu comme force d’opposition. Les voix critiques se sont plutôt déplacées vers des nouvelles formes de la droite. Un constat, néanmoins: les critiques de l’atlantisme, ou de l’impérialisme occidental, sont plutôt de droite en Europe et exclusivement de gauche en Amérique latine. Ce constat invite à ne pas fétichiser ces notions de gauche et de droite, qui sont sans doute des repères utiles, tout au plus.

*En langage internet, un «troll» est une personne qui prend de façon délibérée les positions les plus extrêmes pour semer la zizanie dans les discussions en ligne.