Trop c’est trop

L’annonce, fracassante pour le milieu politique biennois, est survenue le 4 décembre par le biais d’une allocution concise débutant par ces mots: «J’ai décidé de remettre le mandat politique que le peuple m’a confié, à la fin de ce mois. Je ne pars pas parce que la Ville n’a pas de budget: j’ai déjà connu deux situations semblables et j’ai trouvé des solutions. Si je me suis décidée à remettre mon mandat, c’est parce que je ne peux plus réaliser la mission pour laquelle j’ai été élue au sein de ce Gouvernement.»

La politicienne, étiquetée Parti Radical Romand (ndlr une émanation francophone du FDP, soit du PLR), a poursuivi en envoyant valser bien des illusions biennoises: «En 2014 et 2016, lorsque les budgets avaient été refusés par le peuple, c’est le centre-droite qui détenait une légère majorité au Parlement et la gauche qui était majoritaire au Gouvernement.»

Un équilibre gouvernemental, précise la démissionnaire, qui n’a pas changé depuis. Mais jusqu’à quand? «Si un seul conseiller municipal de gauche prétend aujourd’hui qu’il ne risque pas sa réélection dans deux ans, il se voile la face. Car le budget 2023 qui a été refusé par le peuple est, à deux millions près, et à une variante près, celui du Gouvernement. Il s’agira pour les conseillers municipaux de gauche de marquer des points dans les semaines à venir, de trouver le moyen d’interpréter le verdict populaire pour ne pas avouer la défaite.» Et Silvia Steidle de condamner une tendance forte à «mettre en place des processus ingérables et se présenter ensuite comme sauveur pour se refaire une image de bon dirigeant.»

Une bureaucratie obèse

Si celle qui vitupère de la sorte n’est certainement pas la représentante d’un anarcho-capitalisme débridé, elle sait parfaitement d’où viennent les problèmes financiers qui rongent la ville depuis plusieurs décennies: de la bureaucratie. Elle n’y va d’ailleurs pas de main morte pour dénoncer cet empilement de temps perdu et d’argent mal dépensé: «Aujourd’hui on n’apprend rien des erreurs, on ne tire pas les conclusions du 27 novembre (ndlr date du refus populaire du budget 2023). La priorité n’est pas de gouverner mais de laisser le Parlement se charger de la tâche d’établir le budget. Quant au Gouvernement, il organise les séances, fait des notices de séances et comptabilise les décisions. Ce n’est pas ainsi que je comprends mon rôle. Le peuple ne m’a pas élue pour mes compétences de comptable ou de secrétaire. Je vois mes priorités ailleurs que dans la réécriture des stratégies financières.» Motif d’agacement suprême, la multiplication des rapports, des commissions qui annulent des décisions de sous-commissions, bref, de «la pure bureaucratie.» Un problème identifié par Mario Cortesi, l’éditorialiste du journal local Biel-Bienne: «Avec leurs œillères idéologiques, des parlementaires plus loquaces que réfléchis ont pris les rênes de la politique et rendent impossible la collaboration constructive d’autrefois, ils ne sont prêts à faire des compromis que s’ils leur sont utiles. (…) Le pénible débat sur le budget a clairement montré que les politiciens n’empruntent plus que la voie qui leur apporte un avantage personnel ou à leur entourage.» On rappelle en passant que, au milieu de toutes ces ambitions, l’endettement de Bienne se rapproche à grands pas du milliard.

Pour conclure, Silvia Steidle met en garde son remplaçant: «Ceci n’est pas ma campagne électorale, ceci est ma démission. Elle se veut aussi recommandation à celle ou celui qui me succèdera. Lorsque le peuple l’élira, il devra en tenir compte. Et aux futurs candidates et candidats, je ne peux recommander qu’une chose: s’ils n’ont pas les alliances nécessaires, mais uniquement des grandes ambitions, qu’ils renoncent à se présenter.»

Et si l’échec donnait paradoxalement des ambitions?

Désormais, le PRR peut présenter un de ses membres pour remplacer Silvia Steidle, réélue pour un troisième mandat en septembre 2020. Des noms circulent déjà. Le candidat sera annoncé à la mi-janvier et les citoyens biennois auront trente jours pour récolter un nombre suffisant de signatures si la personne présentée n’est pas à leur convenance.

Malgré l’échec d’un budget qui porte largement sa marque, la gauche pourrait désormais prétendre à prendre la main sur la direction des finances, depuis 2012 entre les mains du centre-droit. On imagine toutefois assez mal Glenda Gonzalez (PS), actuelle directrice de la culture, de la formation et du sport, ou Lena Frank (Les Verts), directrice des travaux publics, de l’énergie et de l’environnement, abandonner des postes qui sont chasse gardée depuis dix ans. Reste Beat Feurer (UDC), qui, avant de rejoindre le Conseil municipal en 2012, était expert fiscal et enseignant de droit fiscal. Bienne a désormais pour horizon une situation bloquée ou alors un total renversement des philosophies exercées au sein des différentes directions.

La ville de Bienne vient d’annoncer que la nouvelle version du budget 2023 sera soumise à la votation populaire le 7 mai prochain. Mais avant cela, ces nouveaux chiffres vont faire l’objet de débats que l’on imagine déjà bien compliqués, et volontiers stériles, au Conseil de ville, à la fin mars.




Ma sorcière bien-aimée

La chose ne dérangeait nullement notre héroïne de la lutte contre le patriarcat, puisque son camarade suivait en cela «le protocole du lieu de culte qu’il représentait, à l’intérieur de ce cadre précis» (ndlr la citation est d’origine).
Et effectivement, pourquoi s’énerver devant des comportements tout à fait actuels quand on peut, avec l’ardeur de Maïté devant une oie rôtie aux pommes, s’attaquer à des injustices du Moyen-Age tardif et de la Renaissance? Et l’ardeur, la parlementaire professionnelle n’en manque heureusement pas, comme le prouve son passage le week-end dernier à la RTS, dans Forum, où elle venait plaider pour la reconnaissance officielle des victimes de la chasse aux sorcières, dans la continuité d’un postulat déposé à Berne. Des heures sombres, certes, mais qui ont tout de même l’intérêt de permettre à la gauche woke de sortir une nouvelle catégorie de martyrs de son chapeau pour quémander de l’argent public. A quelles fins, précisément? Mettre en place des «réseaux de chercheurs et de chercheuses», des expositions et des quatre-heures pour les enfants, sans doute.
Mais voilà, il faut toujours qu’un beauf cisgenre s’en mêle et, dans le cas présent, c’est un historien spécialiste de la question qui a mis à mal la belle ambiance du moment. En l’occurrence, Michel Porret, de l’Université de Genève, qui a eu l’audace de démontrer que souvent, les dénonciations découlaient de «crêpages de chignon» entre ces dames et non d’un complot ourdi par les mâles contre le beau sexe. Et d’encourager sa jeune interlocutrice à aller lire quelques livres sur le sujet, aisément disponibles dans n’importe quelle librairie. Aïe. Ultime outrage, une «spécialiste des politiques mémorielles», Brigitte Sion, a fait part de sa légère incrédulité devant le procédé consistant à demander des sous à la collectivité pour très éventuellement développer une idée quant à son utilisation après coup.
Il n’en fallait pas davantage pour que madame Porchet perde sa belle assurance et commence à s’exprimer dans un sabir évoquant davantage le chanteur de Dance Scatman John que Chateaubriand. Qu’elle soit ici rassurée, pour vivre de tels moments d’extase mystique, nombreux seront les salauds de mâles encore disposés à lui permettre de prolonger sa carrière politique d’une trentaine d’années sans avoir jamais à potasser un bouquin d’histoire.

A tombeau ouvert

La scène indé de la Mecque helvétique des punks à chiens, Bienne.

Serait-ce parce que l’un des derniers journalistes qui lui restent est Biennois, toujours est-il que Le Matin ne se lasse pas de soutenir la scène indé de la Mecque helvétique des punks à chiens. Les derniers lecteurs qui lui restent (on se répète, mais c’est une figure de style) ont ainsi eu la joie de découvrir un reportage bouleversant, la semaine dernière, dans le cadre d’une manifestation contre le paquet d’économie «Substance 2030». Le grand tort de ce projet: préserver les grandes institutions artistiques locales – les plus à même d’attirer des spectateurs sans doute – tandis que la culture indépendante, elle, se débattra dans les pires souffrances. On caricature un peu, mais finalement moins que les manifestants qui ont eu le bon goût de défiler avec un cercueil pour la culture (quelle inventivité), de faire porter des panneaux militants à des gamins (quelle audace) et de sortir les drapeaux PS (quelle fidélité), d’après les photos de la «vitamine orange». Un sans-faute qui, certainement, saura convaincre les élus bourgeois de cesser de se doucher pour mieux engager le dialogue avec les preux chevaliers de la divine subvention.




Le béton sauvera la culture

Bien entendu, des coupes sont prévues dans tous les domaines: administratif, matériel, et, comme tout le monde doit mettre la main à la pâte, la culture. Notamment une coupe de 200 000 francs annuels au chapitre «soutiens à la création artistique». Rassurez-vous, la Ville en met toujours 200 000 à disposition.

Mais rien à faire: sacrilège ultime que voilà! Pris de vilaines suées, les membres du collectif «Bienne pour tous», sortant de leur torpeur dès qu’une menace financière contre leur petit confort pointe à l’horizon, se sont mobilisés. Ils se sont tout d’abord réunis en ville, deux ou trois soirs de suite. Mais ils ont aussi rédigé une lettre à l’intention des politiciens biennois. On peut y lire que cette coupe de 200 000 francs dans la culture est «contre-productive pour la diversité et la vitalité de Bienne». «Bienne pour tous» estime également que le Conseil municipal «dépasse ses objectifs» (on rappelle que la dette de la Ville se monte à plus de 800 millions de francs). En lieu et place de coupe, le collectif propose une solution que l’on qualifiera pudiquement d’audacieuse: construire des logements afin de générer des recettes. Ironique sachant que le groupement fait aussi part de ses inquiétudes quant à l’entretien des espaces verts.

Détail piquant: en retournant la lettre dans tous les sens, pas une phrase, pas un mot sur la décision de la Ville de Bienne d’augmenter la quotité d’impôts. Celle-ci passera de 1,63 à 1,78, soit une hausse de 20 francs par mois pour un revenu de 50 000 francs annuels. La mesure est jugée «la plus solidaire» et «nettement défendable» par le maire socialiste de Bienne, Erich Fehr.