Deux sorties de piste
Les 6 et 7 janvier 2025 ont vu la mort physique du fondateur de l’actuel premier parti de France, Jean-Marie Le Pen, et la mort politique du Premier ministre canadien, Justin Trudeau.
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Du premier je dirai peu. Une manœuvre du très flamboyant François Mitterrand à laquelle s’était prêté le très médiocre Jacques Chirac, avait pendant une trentaine d’années transformé Jean-Marie Le Pen en épouvantail qui était censé faire, par contraste, ressortir les vertus pourtant fort peu éclatantes de la gauche française. (Vous savez, ces gens qui enseignent une morale qu’ils ne pratiquent pas.) Je me demandais donc quelle seraient les réactions le jour de sa mort, car il a quand même fini par quitter ce monde à l’âge de 96 ans. Son dernier mandat parlementaire avait pris fin à ses 91 ans. Il a donc été largement battu par Strom Thurmond, resté sénateur des États-Unis jusqu’à ses 100 ans. Mais la performance reste impressionnante. D’autant plus qu’il aura fait à peu près 98% de sa carrière politique dans l’opposition, n’ayant été dans la majorité que du retour du général de Gaulle au pouvoir le 1er juin 1958 jusqu’à la volte-face de la politique algérienne de celui-ci le 16 septembre 1959. Il fut alors rapporteur du budget de la défense à l’Assemblée nationale et au Sénat de la Communauté française, avant d’entrer, en septembre 1959, dans l’opposition, pour toujours.
J’ai été surpris par le ton correct du communiqué de la présidence de la République française et la grande courtoisie de celui du Premier ministre François Bayrou. Un reste d’onction ecclésiastique chez ce survivant de feu la démocratie chrétienne ?
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Celui que j’attendais au tournant, c’était Jean-Luc Mélenchon. Il s’est fendu de déclarations qui manifestent une absence de respect totale pour les morts. C’était le test. Ce guide de la gauche française fréquente beaucoup, depuis quelques années, les Arabes, ou des gens qui se disent Arabes. Visiblement, il ne les aime que dans la mesure où ils peuvent servir ses ambitions. Car, s’il avait le moindre intérêt pour la civilisation arabe, il aurait au moins appris qu’au Machreq (le vrai monde arabe), on ne crache pas sur les morts.
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Du deuxième, Justin Trudeau, j’aurai beaucoup plus à dire.
Il peut paraître étonnant de parler de très longue carrière politique pour Justin Trudeau, né en 1971, comme pour Jean-Marie Le Pen, né en 1928. Et pourtant, il ne faut pas se leurrer : Justin Trudeau n’est que la continuation de son père Pierre Elliott Trudeau, et sa carrière politique a donc commencé… en 1949. L’histoire des Trudeau père et fils nous montre comment deux hommes politiques ont pu détruire un pays sur lequel toutes les fées s’étaient penchées, et ceci aux applaudissements d’une foule aveugle.
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Avant que son fils n’accède au pouvoir, Pierre Elliott Trudeau pouvait légitimement passer pour le pire Premier ministre que le Canada ait eu. Faisant l’inverse de ce que le subtil Edgar Faure avait préconisé, Trudeau père s’était donné pour règle de donner aux gens le contraire de ce qu’ils demandaient. Les Canadiens français voulaient vivre et travailler en français à Montréal ; Trudeau s’était mis en tête de le leur permettre à Vancouver. L’Alberta voulait toucher les bénéfices de sa contribution considérable à la prospérité du Canada ; Trudeau imposa un contrôle fédéral encore plus tatillon sur ses ressources naturelles. En quittant le pouvoir en 1984, Trudeau père laissa un pays au bord de la banqueroute et il fallut une trentaine d’années à Brian Mulroney, Jean Chrétien et Stephen Harper pour résorber la dette publique. Son fils allait faire mieux, puisque le déficit du budget fédéral est passé de 3 milliards de dollars canadiens en 2015 sous Stephen Harper (Fraser Institute, 17 septembre 2024) à 62 milliards pour l’exercice 2023-2024 à la fin du règne de Justin Trudeau (Rania Massoud, Radio Canada, 16 décembre 2024). La dette fédérale est passé de 884 millions au départ de Harper à 1’500 milliards en mars 2024.
Il y a un autre point de convergence important entre les Trudeau père et fils : l’instrumentalisation cynique de la politique d’immigration. Une longue histoire qui commence en 1968.Avant l’arrivée au pouvoir de Pierre Elliott Trudeau, le Canada était gouverné par des anglophones unilingues, qui avaient consenti à laisser deux fois le pouvoir à des francophones parfaitement bilingues, Wilfrid Laurier et Louis Stephen St. Laurent. Malgré leur francophobie notoire, ces Premiers ministres anglo-saxons considéraient en général que la paix du Canada exigeait de traiter la province du Québec, seul territoire où la minorité francophone détenait le pouvoir politique, comme un État dans l’État. C’était le fédéralisme asymétrique : que le fédéral pouvait faire des concessions au Québec sans en faire aux provinces anglophones. L’inamovible Premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, était devenu un maître dans ce jeu qui consistait à obtenir ce qu’il estimait indispensable pour la survie du fait français en Amérique du Nord. Puis vint Pierre Elliott Trudeau, qui développa l’idée saugrenue de « l’égalité des provinces » : le Québec vaut l’île du Prince-Édouard qui, dans le monde réel, vaut la ville de Longueuil. Contre toute raison, il mit fin au fédéralisme asymétrique, comme si le français n’était pas menacé partout au Canada, y compris au Québec. Les résultats ne se firent pas attendre : moins de douze ans après l’arrivée au pouvoir de Trudeau, le Québec organisait son premier référendum sur l’indépendance.
Trudeau père, gonflé d’un mépris sans égal à l’égard de son peuple d’origine, entreprit de noyer la minorité canadienne française en ouvrant les vannes de l’immigration. C’est la vraie raison de la politique canadienne d’immigration depuis 1968 : submerger les Canadiens-Français, y compris au Québec, sous l’afflux du Tiers monde anglophone. Le plan est un succès, puisque le français recule année après année dans tout le Canada, y compris au Québec, et que Montréal n’a déjà plus de majorité francophone. Une fois de plus, le cynisme des « élites » politiques occidentales coïncide curieusement avec les idées « généreuses » du wokisme, ce qui a permis à Justin Trudeau d’encore accentuer la politique de son père, portant les quotas d’immigration légale à 500’000 personnes par an. (Bien entendu, de tels quotas ne tiennent aucun compte des besoins réels de l’économie ou du bien-être de la population déjà présente.) C’est ainsi que l’objectif réel, la marginalisation de la population francophone, passée de 29% des Canadiens en 1951 à 20% en 2024, a pu se parer des atours du multiculturalisme.
Mais voilà : l’immigrant qui débarque au Canada n’a pas pour objectif dans la vie d’être l’arme de la majorité anglophone contre la minorité francophone ; il lui arrive aussi de poursuivre ses propres intérêts, et c’est ainsi que le Canada des Trudeau est devenu la base arrière du séparatisme sikh contre l’Union indienne. (On condamne le séparatisme québécois ; on promeut le séparatisme sikh.)
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Pour leur plus grand malheur, les Québécois ne comprennent pas que l’aventurisme imprudent, ce n’est pas de prendre le chemin de l’indépendance. C’est de rester dans le Canada tel que les Trudeau père et fils l’ont déconstruit : le premier État postnational, l’Empire woke dopé au déficit budgétaire où l’on a livré au feu, en Ontario, en septembre 2021, 5’000 livres jugés politiquement incorrects. Les premiers bûchers du wokisme ; il y en aura d’autres.