Peut-être te souviens-tu de moi : nous nous sommes brièvement croisés à la dernière rencontre du Comité Trump Suisse, où je me trouvais à la table des journalistes. Nous avons peu eu l’occasion d’échanger ; j’ai passé la majeure partie de la soirée à fumer des cigares avec un copain qui, comme moi, ne se sent pas particulièrement « trumpiste ». J’ai eu le temps d’observer, néanmoins, que ton action semblait enthousiasmer bien des participants.
Depuis des mois, tu te proposes de « dégauchiser le pays de la levrette », comme tu appelles la Suisse. Tu mènes ce combat vidéo après vidéo, n’hésitant pas, par exemple, à escalader un bâtiment communal à Vevey pour décrocher un drapeau palestinien. Et je vais te dire : moi aussi, ce drapeau m’a agacé. Pas en tant que tel — je crois qu’il y a un drame palestinien — mais parce que je pense que notre espace public doit rester neutre. Que des salles de concert, des partis ou des particuliers affichent le drapeau de leur choix à leur fenêtre, peu me chaut ; mais j’aimerais que mon pays préserve à la fois sa neutralité et sa capacité d’action face aux drames de ce monde. Elle n’a fait ni l’un ni l’autre depuis que Cassis impose son occidentalisme bourgeois.
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Si je t’écris aujourd’hui, c’est parce que je viens de regarder une de tes vidéos où tu nous mets en garde, nous les Suisses, contre la « submersion migratoire ». Un thème que tu connais bien, en tant que Français — et immigré toi-même. Tu dresses le portrait de ton pays d’origine en évoquant l’explosion du nombre de mosquées et d’immigrés, refusant qu’il en soit de même ici. C’est bien intentionné, sans doute, mais parfois un peu troublant : tu expliques qu’il n’y avait pas de mosquée à Paris en 1975, alors qu’elle a été inaugurée en 1926. Tu évoques aussi le chiffre de 12 000 immigrés à cette même date, sans dire où.
D’après les chiffres de l’INSEE, les immigrés représentaient déjà 3 887 000 personnes en France métropolitaine en 1975, dont environ 26 % originaires du Maghreb. À moins qu’ils aient massivement choisi la Creuse ou le Cantal, j’ai l’impression qu’un peu plus de 12 000 d’entre eux se trouvaient déjà à Paris.
Miracle suisse : on peut discuter
Je ne suis ni géographe ni historien, ni véritablement passionné par le fact-checking. Si je partage ces observations avec toi, c’est parce que je me dis que si toutes tes affirmations sont aussi rigoureuses, j’ai peut-être plus envie d’écouter Marie-Thérèse Porchet (Léonore, c’est autre chose) sur la géopolitique. En réalité, il y a quelque chose qui me met mal à l’aise dans ces figures — tu n’es pas le seul — qui importent dans mon pays des tensions qui n’y existent pas.

Tu sais, les jeunes wallah que tu aimes tant allumer, moi je les côtoie, et certains sont mes amis. J’observe, oui, des évolutions : le refus de porter des shorts par 40 °C, la disgrâce du dégradé, l’apparition de l’abaya chez des filles de 17 ans. Mais je vais te dire un truc : on peut parler avec les gens. On peut refaire le monde sans s’insulter. Mon identité de chrétien est suffisamment forte pour que je n’aie pas besoin de rallumer ma tiédeur avec les bûchers d’immigrés. C’est d’ailleurs aussi valable avec les personnes LGBT, les gens de gauche et tout le reste de tes cibles habituelles. D’ailleurs, j’ai une question pour toi : toi le héros de l’Occident chrétien, vas-tu à l’église ?
Tu nous dis que si nous ne faisons pas attention, l’effondrement vécu par la France nous tombera aussi sur la tête. Mais nous n’avons pas attendu, en Suisse, des influenceurs YouTube pour affirmer nos valeurs. On en pense ce qu’on veut, mais le vote populaire de 2009 sur les minarets montre assez clairement l’attachement du peuple suisse à sa culture chrétienne. Et tu serais surpris du nombre de copains musulmans, fiers d’être Suisses, qui m’ont expliqué qu’ils comprenaient ce choix.
Le coup de blanc plus que le coup de buzz
En France, les tensions communautaires ont été largement orchestrées dans les années 1980 par un sous-marin de la gauche, SOS Racisme. Dans un pays où nous parvenons encore à vivre en paix les uns avec les autres, ne viens pas reproduire la sottise symétrique : SOS Raciste.
Tu sais, il y a une raison pour laquelle ce style politique fait tant de bruit en France : là-bas, la droite ne gouverne jamais vraiment. Elle joue son rôle dans un théâtre où l’excès compense l’impuissance. En Suisse, c’est différent : grâce à nos institutions, la droite n’a pas besoin de vociférer pour exister. Elle gouverne, elle dépose des initiatives, elle fait voter le peuple, elle participe à l’exécutif. Le miracle helvétique, c’est justement cela : transformer les convictions en objets politiques concrets, pas en indignations virales.
Ce ton de croisade n’est pas dans nos gènes. Ici, la politique se fait à voix basse, autour d’un verre de blanc, pas devant des followers qui ne voteront jamais un crédit pour un lampadaire dans leur village. C’est aussi ça, le conservatisme : conserver une certaine qualité de pâte humaine.
À bientôt derrière une barre de soulevé de terre,
Raphaël