Hani Ramadan : « Le problème, ce n’est pas le Hamas, mais la colonisation qui se poursuit ! »

Hani Ramadan, est-ce la première fois que vous accordez un entretien à un journal ouvertement chrétien et conservateur ?

Je n’ai effectivement pas souvenir d’avoir répondu à une telle invitation par le passé.

Est-ce une sorte de défi, pour vous ?
Non, je ne dirais pas cela. Simplement, je pense qu’il faut que nous soyons ouverts au dialogue, et d’autant plus dans le climat actuel de tensions qui menace de grandir au sein de nos communautés. 

Dans le milieu médiatique, il a été reproché à la Tribune de Genève de vous avoir accordé, précisément, une tribune au début du mois de mars. Vous en signez pourtant depuis des années. Qu’est-ce qui a changé ?

Effectivement, j’ai régulièrement rédigé des articles repris par 24 HeuresLe Temps ou, peut-être plus fréquemment, la Tribune de Genève. Des échanges vifs à la suite de mes opinions qui tranchent avec une doxa diffuse, cela n’a rien de nouveau. Ceux du moment sont liés à une situation hors du commun par son ampleur et sa visibilité : le drame qui se joue à Gaza.

Ce drame est justement au cœur d’une manifestation nationale, ce week-end (ndlr le 23 mars 2024). Parmi les cosignataires de la mobilisation, on trouve des mouvements féministes, « queer » ou Extinction Rebellion. Vous sentez-vous de la proximité avec ces milieux ?

Vous savez, il y a dans la nature humaine quelque chose qui rejette les injustices flagrantes. Sur ce point précis, en effet, les hommes se rejoignent pour dire non à la barbarie sioniste. 

Tout de même, n’y a-t-il pas de contradiction à voir un mouvement LGBTQIA+ qui défile en soutien du Hamas ?

Écoutez, il faut aller leur poser la question. Mais quand on brûle vif, mutile ou affame des enfants et des femmes, quand on bombarde des civils avec des avions et des armes sophistiquées, la réaction humaine est inévitable. Elle relève d’une évidence, à savoir qu’on a dépassé toutes les limites. Ce ne sera donc pas moi qui irai contester la présence de tel ou tel groupe venu exprimer ce désaveu.

Appel à une manifestation nationale, le 23 mars dernier.


Vous dénoncez ce cortège d’horreurs du côté palestinien, mais il y a aussi des otages israéliens qui sont toujours détenus depuis 2023…

Le mot « otage » ne rend certainement pas compte du contexte de ces opérations. Ce qu’il faut comprendre, c’est que les kibboutz attaqués le 7 octobre ont été construits sur onze villages palestiniens détruits. Les dernières personnes à avoir été envoyées à Gaza venaient précisément de ces endroits. Ce n’est d’ailleurs pas moi qui le dis, mais l’historien israélien Ilan Pappé, que je citais dans mon dernier article paru dans la Tribune de Genève

Cet auteur soutient, et d’autres avec lui, que le Hamas n’est pas un mouvement terroriste, mais qu’il mène une action de résistance. Son but n’a jamais consisté à massacrer des gens, décapiter des bébés ou violer des femmes – informations d’ailleurs démenties depuis. Tout cela relève de la propagande de guerre et des témoignages sortent même dans la presse israélienne de gauche qui prouvent que ces choses ne se sont jamais produites. Je vous renvoie à une large enquête que vous trouverez sur mon blog, où sont accumulés les faits qui contredisent le narratif du gouvernement israélien : 7 octobre : que s’est‑il réellement passé ?[1]

Vous relativisez tout de même beaucoup la portée du 7 octobre…

Le Hamas voulait prendre des prisonniers pour les échanger contre ceux – on les évalue à 6000, dont de nombreux enfants – qui croupissent dans les geôles israéliennes. Quel intérêt y aurait-il eu à tuer ces gens ? Les morts proviennent en grande partie de l’armée israélienne qui a voulu empêcher l’opération en attaquant et bombardant les kibboutz. Cela étant dit, bien sûr que le Hamas peut faire l’objet d’une enquête comme n’importe quelle organisation, mais il faut qu’elle soit menée librement et selon le droit. Or j’observe que sur le coup de l’émotion, tant nos conseillers fédéraux que la presse se sont précipités pour retenir les affirmations du gouvernement suprémaciste de Netanyahou.

Selon vous, la Suisse n’aurait pas dû afficher sa solidarité avec le peuple israélien, au lendemain des attaques ?

On aurait dû prendre le temps de mener une enquête sur ce qui s’est réellement passé. C’est ce qui qualifie l’État de droit. Nous sommes la Suisse, pas Israël, et nous n’avons pas à nous aligner sur sa politique ou sur les éléments de sa propagande.

Prendre le temps de l’enquête : vous aviez déjà dit cela à propos du massacre du Bataclan…

Oui, j’ai toujours tenu les mêmes propos lorsqu’il y a eu des drames et des attaques qualifiés immédiatement de « terroristes ». Je pense qu’on va toujours trop vite pour tirer des conclusions, notamment au niveau de la presse et des médias.

Mais cette émotion n’est-elle pas légitime quand on voit des jeunes qui se font attaquer en plein festival techno, le 7 octobre, en Israël ?

Je n’ai vu aucune image qui va dans ce sens : on a parlé de massacre à grande échelle, mais encore une fois, bon nombre de témoignages de civils israéliens affirment aujourd’hui que c’est leur propre armée qui leur a tiré dessus, notamment lourdement par la voie des airs. Ce qui a été confirmé par des soldats de Tsahal. De son côté, le Hamas a reconnu que des Israéliens ont été touchés lors des échanges de tirs, mais telle n’était pas sa volonté. Par ailleurs, ses combattants n’avaient pas connaissance qu’un « festival techno » avait lieu dans les parages. 

On dirait que vous avez toujours une piste de sortie complotiste.

Voilà bien une expression que l’on brandit systématiquement pour décrédibiliser ceux qui tentent d’aller au-delà de la doxa que les lobbies veulent imposer. Ne vous y méprenez pas, ces lobbies sont une réalité : regardez ce qui se passe dans la presse d’expression française avec des médias tenus par des gens comme Patrick Drahi… 

Vous faites allusion à l’idée d’un grand complot juif mondial ?

Parler de « grand complot juif mondial » est une expression dangereuse ! Elle est à éviter parce qu’elle incrimine les Juifs dans leur ensemble, et l’on sait comment le nazisme en a fait usage. Cependant, le sionisme international n’est pas une lubie, mais bien une réalité. On sait pertinemment que personne ne devient président aux États-Unis sans passer par l’AIPAC (ndlr, American Israel Public Affairs Committee,puissant lobby basé à Washington) ou par le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France),chez nos voisins. On a vu, sur un autre plan, des journaux qui ont systématiquement orienté le débat vers une condamnation du Hamas, quitte à présenter des informations et des chiffres inexacts sur la réalité du 7 octobre.

Vous affirmez que la presse est « tenue » par le sionisme ?

En grande partie. Mais je dirais plutôt « orientée ». Il faut d’abord rappeler que la culture occidentale souffre d’un complexe de culpabilité vis-à-vis des Juifs depuis la Shoah. Vous savez, lutter contre l’antisémitisme est une chose essentielle et encore aujourd’hui, il ne faut pas oublier que dans une Europe que l’on croyait « des Lumières », on a accepté que le nazisme s’installe et massacre les Enfants d’Israël d’une façon abominable. Malheureusement, le poids de l’histoire fait qu’on hésite aujourd’hui à faire la critique de la politique israélienne, et je crois que c’est une grave erreur. C’est précisément en dénonçant les exactions du sionisme, et en le distinguant du peuple juif et de tout ce qu’il a apporté à l’humanité, qu’on lutte contre l’antisémitisme. 

Ceux qui pensent qu’il ne faut pas critiquer Israël à cause du souvenir de l’extermination nazie nourrissent un amalgame. En tant que musulman, je le dis clairement : on ne doit toucher ni aux rabbins, ni aux synagogues, ni aux Juifs et à la culture juive ; mais sur la question palestinienne, on doit être juste. 

Être juste et équilibré, n’est-ce pas aussi rappeler que les Israéliens reçoivent des roquettes sur la tête depuis vingt ans ? 

Vous inversez l’ordre des choses. Ce sont les civils palestiniens qui sont agressés depuis 1918, et la réponse armée s’appelle de la résistance. Je vous renvoie, à titre d’exemple, aux observations que fit Monsieur Majed Bamya (du Fatah, diplomate au Ministère des affaires étrangères palestiniens) à une journaliste sur France24, à la suite de l’agression contre Gaza en 2014 : « Le Hamas, qui a fait 27 morts Israéliens, dont 25 militaires appartenant à la puissance occupante israélienne, serait une organisation terroriste et des criminels ; et ceux qui ont fait 530 morts, dont 90 % de civils, dont plus d’une centaine d’enfants, seraient le pays civilisé dans ce conflit ? »[2]  Notons qu’il s’agissait d’un bilan intermédiaire. Au final, « côté palestinien, au moins 2140 personnes ont perdu la vie durant cette nouvelle guerre (en 2014), la troisième en six ans. Parmi eux, 1460 civils, dont 493 enfants âgés de 10 jours à 17 ans, 253 femmes et 714 civils hommes. ».

Les roquettes du Hamas visent des habitations, souvent…

Vous voyez que les atrocités commises par Tsahal ne sont pas une nouveauté. Quand on bombarde tout un peuple d’un côté, il y a forcément une réponse de l’autre. Bien sûr, nous sommes persuadés qu’il faut épargner les civils, mais le contexte historique fait que les Palestiniens se trouvent confrontés à une colonisation qui se poursuit. Peut-on dire d’un colon armé qui a le droit de tirer sur les Palestiniens qu’il est un « simple civil » ? Je ne le pense pas. Le problème, ce n’est pas le Hamas, mais la colonisation qui se poursuit.

Qui est ce « nous » que vous employez régulièrement ?

Il désigne ceux qui pensent, comme moi, que la résistance palestinienne est légitime. 

A l’Université de Lausanne, la Semaine d’actions contre le racisme de mars 2024 a donné la parole à des personnes très antisionistes. N’est-ce pas la preuve que votre sensibilité est aujourd’hui dominante ? 

Non, c’est tout le contraire. La tendance qui vise à criminaliser ceux qui dénoncent le sionisme et osent défendre la résistance est largement dominante. On ne peut que féliciter toute démarche qui, dans les milieux académiques, ouvre plus largement le débat. Depuis le 7 octobre sont dévoilées la lâcheté de la plupart des gouvernement occidentaux, l’hypocrisie de bon nombre de gouvernements arabes, et la faiblesse du système onusien. 

Avez-vous un dernier message pour nos lecteurs chrétiens ?

Oui. Je les encourage à se pencher davantage sur le sort des Palestiniens chrétiens qui vivent à Gaza et Jérusalem. J’aimerais aussi leur dire de s’intéresser à l’islam de façon objective. Souvenez-vous que le message de Jésus, c’est de nous aimer les uns les autres. Comme musulman, je pense que je suis plus chrétien que le chrétien dans le sens où je ne divinise pas la personne du Christ, mais le considère comme un noble prophète, miraculeusement né d’une Vierge par la volonté de Dieu. Un grand homme qui est notre modèle, illustre ainsi que sa mère : « (Rappelle) quand les Anges dirent : Ô Marie, certes Dieu t’a choisie, t’a purifiée, et t’a élue au-dessus des femmes des mondes. » (Coran, 3, 42)

Propos recueillis par Raphaël Pomey


[1] 7 octobre : que s’est‑il réellement passé ? – Islam et engagement (blogspirit.com)

[2] https://www.youtube.com/watch?v=PFKtqk4p2bc




Ce bâtard n’est pas de mon Église

Qui a dit que le christianisme n’intéresse pas les habitants du Pays des Merveilles ? Qui peut le penser ? L’engouement publicitaire et médiatique autour du dernier roman de Metin Arditi semble être là pour nous le rappeler. Une question taraude notre chroniqueur : est-ce encore le christianisme ou son abâtardissement ?

Pâques venues, une étrange agitation animait le monde de l’édition. Un roman allait nous apprendre « quelle a été la vraie vie de Jésus ». L’auteur, Metin Arditi, lauréat du prix de l’Université catholique de l’Ouest, émoustillait la curiosité des futurs lecteurs avec un titre aguicheur : « Le bâtard de Nazareth ». Il fallait oser ! Ne nous arrêtons pas au titre et ouvrons le livre. 

L’idée de monsieur Arditi est de considérer Jésus comme un « mamzer », c’est-à-dire comme un bâtard, un enfant né hors mariage. Dans le judaïsme de l’époque, le « mamzer » représente la lie de la société et il est traité comme un paria par ses coreligionnaires. De cette exclusion, dans laquelle va grandir Jésus, va sourdre une colère et une révolte qui vont le pousser à vouloir « exclure l’exclusion ». Metin Arditi va revisiter tous les épisodes des Évangiles, dans cette perspective, jusqu’à la crucifixion. Et le christianisme dans tout cela ? L’imagination de l’auteur en fait une imposture voulue par Judas.

Après les séries d’émissions de Mordillat et Prieur, notamment Corpus Christi en 1997-1998 et le livre de Daniel Marguerat (Vie et destin de Jésus de Nazareth) paru en 2019, pour ne citer qu’eux, on pourrait dire « rien de nouveau sous le soleil ». Metin Arditi reprend l’histoire d’un Jésus fruit du viol de Marie par un soldat romain. Il s’agit en fait d’une légende datant vraisemblablement du IIe siècle de notre ère, les Toledot Yeshu.

Monsieur Arditi nous donne l’explication psychologique de l’action de Jésus et de son message : une blessure d’enfance provoquée par l’exclusion. Il ne suffit pas de coucher Jésus sur le divan pour le comprendre. N’est pas Freud qui veut ! La bouillabaisse indigeste qui nous est servie fait passer Marie pour une simplette ; Marie-Madeleine pour une amante ; Jésus est un rebouteux ; les apôtres un ramassis de mamzers, de lépreux et d’estropiés ; les Béatitudes sont des paroles en l’air dont certaines suscitent l’hilarité et, touche finale, Judas est l’inventeur du christianisme.

Le style est fait pour plaire. Les dialogues sont indigents, les phrases simples, le vocabulaire basique ; un scénario idéal pour Netflix ou pour succéder à feu Barbara Cartland. Seule la page 194 échappe au naufrage du fond et de la forme, il s’agit de celle des remerciements… 

Monsieur Arditi peut écrire ce qu’il veut sur qui il veut. La liberté de parole existe et c’est fort heureux ainsi. La liberté d’apprécier et de critiquer ses écrits aussi. 

Ce qui m’a le plus étonné et interrogé, ce sont les éloges dithyrambiques des milieux chrétiens et de la presse : « Un hymne au courage de Jésus, bâtard et si humain » (La Libre Belgique), « La vraie vie de Jésus » (Le Point), « Jésus, héros inclusif » (La Vie), « Un Jésus humain, si humain » (Le Temps), « Jésus est à tout le monde » (Le Matin).

Bien plus, Metin Arditi, invité sur tous les plateaux de télévision et de radio, est reçu comme le théologien qu’il n’est pas. Et de nous expliquer, fort doctement, « en toute humilité », qu’au temps de Jésus le concept d’Immaculée conception n’existait pas, confondant au passage ce dogme catholique avec la conception virginale de Jésus. 

Le livre de Metin Arditi est le signe de ce christianisme abâtardi, de ce christianisme sans Dieu, de ce christianisme non religieux. Le message de Jésus se trouve réduit, pour le plus grand bonheur des chrétiens de salon, à une vague solidarité sans substance. La théologie se résume à une sorte d’anthropologie au rabais, de sociologie de bazar et de psychologie du développement personnel. Dans ce sens, le livre de monsieur Arditi pourrait être le nouvel évangile d’un monde sans transcendance.

Ce Jésus selon le cœur de Metin Arditi n’est pas le Jésus des martyrs, des anachorètes, des cénobites, des grands théologiens et des saints.

Ce Jésus tourmenté n’est pas celui de Charles Martel à Poitiers, de Jeanne d’Arc à Orléans, de Don Juan d’Autriche à Lépante et de Jean Sobieski sous les murs de Vienne.

Ce Jésus de conte oriental n’est pas le Jésus de mon catéchisme, ni celui des hymnes et des prières que je récite quotidiennement.

À ce Jésus du Pays des Merveilles, je préfère celui que je rencontre dans la pénombre d’une antique chapelle avec les mots de Péguy : « Il est là. Il est là comme au premier jour. Il est là parmi nous comme au premier jour. Il est là parmi nous comme au jour de sa mort. Éternellement il est là parmi nous autant qu’au premier Jour. Éternellement tous les jours. Il est là parmi nous dans tous les jours de son éternité. Son corps, son même corps, pend sur la même croix ; Ses yeux, ses mêmes yeux, tremblent des mêmes larmes ; Son sang, son même sang, saigne des mêmes plaies ; Son cœur, son même cœur, saigne du même amour. Le même sacrifice fait couler le même sang. » (Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc)

Paul Sernine




Drapeaux ukrainiens retirés en catimini

Le soutien symbolique des différents cantons et communes suisses romands envers Kiev commence à s’essouffler. À Lausanne ou Genève, par exemple, l’étendard jaune et bleu a pris la poudre d’escampette sans faire beaucoup de bruit.

Alors que le conflit s’enlise sur le terrain, le drapeau ukrainien de l’Hôtel de Ville de Lausanne a été discrètement retiré lors du passage à l’an 2023. Le cas de la capitale olympique n’est pas isolé : plusieurs communes et cantons adoptent aujourd’hui une politique marquée par une certaine prudence en matière géopolitique. Fait troublant : l’installation des étendards avait souvent provoqué la publication de communiqués de presse soulignant le soutien qu’ils apportaient aux réfugiés ukrainiens, mais fort peu de publicité a été faite pour officialiser les retraits. À Genève, le service communication de la Cité de Calvin ne parvient d’ailleurs même pas à citer le jour précis où le symbole a été retiré. 

Sollicitée, la commune de Lausanne est plus précise : elle explique que si le drapeau a bien disparu après 2022, cela ne change en rien l’engagement de la capitale olympique en faveur de l’Ukraine. Cette solidarité se manifeste notamment par une collaboration avec l’Établissement Vaudois d’Accueil des Migrants (EVAM) afin de trouver des lieux d’accueil permettant de loger dans les meilleures conditions possibles les familles réfugiées. Mais la ville explique qu’« elle ne peut exprimer sa solidarité pour un seul pays sur le long terme alors que de nombreux drames se jouent ailleurs dans le monde ». 

Certes, il existe d’autres préoccupations majeures dans le monde. Pourtant, le conflit ukrainien a été au centre d’une attention médiatique et politique sans précédent dès le début des hostilités en février 2022. Dans ce contexte, d’autres collectivités ont choisi une stratégie plus conforme à la tradition de neutralité helvétique, notamment dans le Jura, à Delémont et Porrentruy, où un étendard de la Colombe de la paix a été privilégié. Les autorités neuchâteloises, quant à elles, n’ont affiché le drapeau ukrainien sur le château qu’une seule et unique journée symbolique, le 25 mars 2022. « Le Conseil d’État a tenu à marquer sa solidarité envers les victimes de la guerre en Ukraine, que ce soit sur place ou sur les routes de l’exil, nous explique-t-on. En sus des moyens qui sont actuellement déployés dans le Canton de Neuchâtel pour accueillir dignement les réfugié-e-s (sic) en provenance d’Ukraine, il a décidé de s’associer à l’action symbolique de plus en plus répandue à travers le monde qui consiste à hisser le drapeau ukrainien sur les bâtiments publics. Cela répondait également à la demande adressée au Conseil d’État par plus de trente député-e-s du Grand Conseil issu-e-s de plusieurs partis. » Et la communication du canton de préciser qu’il s’agissait là d’une « action symbolique ». 

Certaines communes maintiennent un cap plus clairement pro-ukrainien. À ce jour, les couleurs de ce pays flottent par exemple encore sur l’Hôtel de Ville d’Yverdon-les-Bains, malgré les réticences exprimées par l’UDClocale (20 Minutes du 5 décembre) ou par des amoureux qui ne souhaitaient pas célébrer leur union devant un emblème rappelant la guerre (24 Heures du 7 mai dernier). Reste que, comme le soulignait récemment dans Le Temps la présidente de l’association « Good Friends for Ukraine », Julia Peters, la solidarité des Suisses pour les réfugiés ukrainiens semble en train de se dissiper.

Commentaire

À l’évidence, le soutien symbolique reste important en Suisse romande en faveur de la cause ukrainienne. Il n’est toutefois pas interdit de se demander si l’affaiblissement de certaines mesures symboliques en 2023 s’inscrit dans un effacement inévitable de la thématique. Alors que Loukachenko, Macron et même Zelensky commencent à changer de champ lexical et abordent désormais les termes de « cessez-le-feu » et de « paix », certains se demandent même si des négociations décisives pourraient avoir lieu ces prochaines semaines. La cause ukrainienne, ainsi, entamerait sa transition vers le souvenir d’un conflit déjà bien loin derrière nous. Mais à quel prix ?

Max Frei




Le Temps menacé par un attentat

« Peut-on vraiment parler d’un “droit à l’avortement” ? » titrait, l’année dernière, l’ancienne conseillère nationale libérale Suzette Sandoz déchaînant les enfers en posant cette question de vocabulaire sur son blog du Temps. La professeure de droit, pourtant, ne s’opposait pas à toute possibilité d’interruption de grossesse, étant attachée à la « solution des délais ». Simplement, elle contestait le terme-même de « droit à » pour ce qui, à ses yeux, relève plutôt d’une autorisation (cf. Le Peuple, 8.6.2022). Reste qu’en affirmant que « le droit à l’avortement est le droit de demander la mise à mort de l’enfant que l’on porte », la Vaudoise avait franchi un cap que le journal n’avait pas toléré. En effet, le quotidien lui avait publiquement fait la leçon :  « Une interruption volontaire de grossesse peut se dérouler en Suisse jusqu’à la 12e semaine de grossesse après les dernières menstruations, autrement dit l’embryon a dix semaines au plus, et il s’agit bien d’un embryon, non d’un fœtus (à partir de trois mois) et a fortiori non d’un enfant ». Ce que l’on ne savait pas, c’est que l’auteur de propos bien plus inquiétants que ceux de Suzette Sandoz s’en était tiré à bon compte. L’avocat et essayiste Raphaël Baeriswyl l’a appris au détour d’une plainte adressée par ses soins au Conseil suisse de la presse. Pour lui, il était déjà inadmissible qu’un titre rabroue publiquement une contributrice externe, au motif de lutter contre la désinformation, alors qu’elle s’exprimait sans enfreindre de norme légale et qu’elle n’avait – à ses yeux de juriste – rien écrit d’inexact. Mais d’apprendre, dans une des réponses du journal à ses questions, qu’un commentateur du blog avait menacé de commettre un attentat contre Le Temps, sans en subir de conséquences, voilà qui dépasse l’entendement. Et Raphaël Baeriswyl d’ironiser : « Un gentil progressiste qui menace de poser une bombe. Mieux vaut demander à Mme Sandoz de modifier son texte… Le Temps veut bien être Charlie, mais pas Suzette. » Des mesures temporaires Comment la chose a-t-elle été possible ? « Mme Sandoz a supprimé elle-même le commentaire menaçant (les blogueurs modèrent les commentaires eux-mêmes) », explique la rédactrice en chef du Temps, Madeleine von Holzen, contactée par nos soins. « Nous avons cherché dans l’historique de la base wordpress, retrouvé l’IP de ce commentaire, établi dans un pays hors du continent, d’où impossibilité pratique de poursuivre l’auteur et probabilité faible d’un passage à l’action. Nous avons néanmoins pris des mesures temporaires de sécurité à la suite de cette menace. » Étonnamment, Suzette Sandoz ne garde, quant à elle, aucun souvenir d’un tel message. Ce qui est certain, quoi qu’il en soit, c’est que la politique de diffusion systématique sur Twitter des billets de blogs du Temps a cessé dans la continuité de cette affaire, remarque un autre contributeur. Autre observation importante : des choix de vocabulaire avaient entraîné un débat très vif au sujet de la pensée de Suzette Sandoz, sans que pareille inquiétude ne soit causée par des menaces graves. Parce qu’elles venaient du camp du progrès ?

L’embryon et le fœtus seraient bien des enfants…

Dans sa plainte devant le Conseil suisse de la presse, Raphaël Baeriswyl fait valoir que, contrairement à ce que prétend Le Temps, le droit suisse utilise le terme « enfant » pour désigner des embryons et des fœtus. C’est le cas, notamment, à l’article 31 alinéa 2 du Code civil (où « l’enfant conçu » est forcément un enfant qui n’est pas encore né…), et plus encore à l’article 9a de l’Ordonnance fédérale sur l’état civil (traitant précisément de « l’enfant né sans vie », qui par définition n’est pas viable et est même souvent un embryon…). Preuve à l’appui, il fait valoir que Le Temps lui-même utilise le terme « enfant », ou « bébé », pour parler de l’enfant qui ne vient pas au monde, en raison d’une fausse couche. Tout récemment, à l’occasion de l’affaire Palmade, Le Temps parlait d’un accident qui avait « entraîné la mort d’un enfant à naître ». « Or, quand Mme Sandoz (une experte, soit dit en passant) utilise le terme « enfant » dans le cadre d’une réflexion sur l’avortement, on vient lui reprocher de faire de la désinformation, comme pour empêcher un débat sur une question qui est pourtant à l’ordre du jour de toutes les démocraties occidentales… », observe l’essayiste. « Intéressant glissement sémantique, n’est-ce pas ?», conclut-il, en rappelant que « l’homme a toujours cherché à déshumaniser ses victimes ».

 



Une presse agonisante prédit la mort de Twitter

«Ils vont nous quitter en 2023… Il est mort Twitter.» Voilà le français aussi puéril que grotesque dans lequel, peu avant la fin de l’année dernière, 20minutes.fr a jugé bon de s’attaquer à la gestion du réseau social par l’un des hommes les plus riches du monde, Elon Musk. L’autrice du papier? Une inconnue du nom de Manon Aublanc, née en 1993 dans la région parisienne et titulaire d’une licence en lettres, d’après sa bio. Un profil tout à fait honorable, certainement, mais qui explique difficilement d’où la journaliste, amatrice en particulier de faits divers d’après sa bio, tire son expertise pour annoncer les cataclysmes et la «descentes aux enfers» (sic) à venir pour une société dirigée par un génie de l’entrepreneuriat.

De fait, tirer à boulets rouges sur le président-directeur général de Tesla, SpaceX et Twitter semble faire office de nouvelle discipline olympique depuis quelques mois dans l’ensemble des médias. Mais pourquoi tant d’audace dans le catastrophisme, jusqu’à friser le ridicule? Julien Intartaglia, doyen de l’ICME (Institut de la communication et du marketing expérientiel) et professeur ordinaire HES à la HEG Arc Neuchâtel, a son idée: «Il y a une chose qui fait qu’Elon Musk est aujourd’hui mal perçu de la plupart des médias classiques: c’est qu’il possède un pouvoir énorme. C’est un électron libre qui ne rend de comptes à personne. Or cela pose un problème, car il ne fonctionne pas du tout à la manière de Mark Zuckerberg, le très malléable patron de Facebook. Chez ce dernier, des personnes qui s’expriment à l’envers de la doxa dominante, sur le Covid ou le climat par exemple, verront la plupart du temps leurs propos supprimés, du moins temporairement. Or, face à cela Musk fait irruption sur son destrier blanc et désarçonne tout le monde avec sa défense de la liberté d’expression.»

Si seulement Musk était adepte de la censure…

Co-fondateur du média d’inspiration libérale Liber-Thé, Nicolas Jutzet abonde en ce sens: «En rachetant Twitter et en remettant en cause certaines de ses pratiques, Elon Musk a fait évoluer un statu quo. Il faut comprendre cette fronde avant tout comme la réponse d’une partie des utilisateurs de la plateforme et des commentateurs de la vie politique, auxquels les anciennes règles de Twitter, et notamment la censure de certains comptes et propos, profitaient. Leur façon de voir le monde bénéficiait d’une audience plus large que les autres. C’est donc en première ligne une banale lutte de pouvoir, en somme. En l’occurrence celui de s’assurer que sa façon de voir le monde s’impose sur celles des autres.» Reste que le milliardaire semble aussi parfois donner le bâton pour se faire battre, aux yeux de cet observateur avisé des enjeux médiatiques: «Il faut également reconnaître que le comportement chaotique de Musk déplait au-delà de ce cercle qui s’oppose à lui pour des raisons idéologiques. L’utilisateur lambda qui préfère les propos équilibrés aux excès, aura sans doute de la peine à s’identifier au fantasque Elon Musk et ses tweets borderlines.»

Impossible de passer sous silence le léger sentiment d’absurde quand des médias classiques tentent de faire croire que Twitter est plus en souffrance que leur propre branche: «La ʻnécrologie anticipéeʼ de Twitter par 20 minutes me fait un peu rire en tant que spécialiste des médias», admet Julien Intartaglia. «Quand on analyse les recettes publicitaires en Suisse, on voit qu’il y a moins d’une dizaine d’années, il y avait encore 2500 millions d’investissements publicitaires pour la presse écrite, contre à peine 900 aujourd’hui. On observe donc une déperdition forte et une incapacité à capter les nouvelles générations qui ne consomment absolument plus les informations par ce biais. Dans ce contexte, cet alarmisme au sujet de la manière dont Musk gère sa société est assez ridicule. Bien sûr, tout peut arriver, mais il ne va certainement pas dépenser 44 milliards pour acheter un réseau social, le détruire et mettre tout le monde à la rue.»

Se faire expliquer la vie par des zombies

«En 20 ans, Musk a révolutionné le secteur automobile (Tesla) et relancé le secteur spatial aux USA avec SpaceX», renchérit Nicolas Jutzet. «Dans la même période, le secteur du journalisme a perdu de sa superbe et une partie de sa crédibilité. C’est donc effectivement quelque peu ironique qu’une corporation qui peine à trouver son modèle d’affaires et à se renouveler se mette en tête d’expliquer la vie à l’homme qui, par son travail et ses choix, est devenu numéro un au classement des fortunes mondiales et qui est à la tête d’entreprises modernes. C’est sans doute symptomatique du fossé qui sépare une partie grandissante de la population des médias, la différence entre leur vision d’eux-mêmes, une certaine volonté de donner des leçons, et leur bilan réel.» Et l’ancien vice-président des Jeunes Libéraux-Radicaux Suisse d’enfoncer le clou: «Avant l’arrivée de Musk, Twitter était un réseau social sans modèle d’affaires viable, qui stagnait depuis des années et qui s’était empêtré dans des luttes politiques pour savoir ce qui relevait ou non de la fake news et qui avait droit à la parole. En réalité, Musk semble être la dernière chance de Twitter, pas le contraire!»

Tout compte fait, ce sont peut-être de simples mécanismes de défense psychologique qui permettent d’expliquer l’alarmisme unanime des médias classiques, quand bien même le nombre d’utilisateurs de Twitter semble exploser depuis la naissance des polémiques sur la gestion à la Musk: «En période d’incertitudes, ou lorsqu’il y a de gros bouleversements, les personnes ont besoin de borner l’incertitude, c’est une théorie que l’on appelle le ʻbesoin de clôture cognitiveʼ», conclut Julien Intartaglia. «Or un média comme Twitter, qui se développe en dehors de tout cadre, sans que l’on sache où il sera mené, fait forcément peur aux gouvernements et aux médias traditionnels, ces derniers répondant plus facilement aux injonctions étatiques. Par analogie, on peut dire que c’est cette même crainte d’être dépassés par des électrons libres qui conduit les médias classiques à malmener les personnalités essentiellement actives sur le Web, ou à n’en présenter que les moins intéressantes.»




Souriez, vous êtes forcés!

Dans un article détaillé sur les solutions du Conseil fédéral pour favoriser les économies d’énergie, 24 heures nous apprend que Berne, désormais, va hausser le ton en profitant d’une “union nationale”.

Extrait de Une:

Le volontarisme obligatoire, résumé par 24 heures.

Enlevez-moi ces guirlandes!

La carotte, ce sont des mesures volontaires comme l’extinction complète de la télé, la baisse du chauffage, bien fermer le congélateur, etc. Rien de bien méchant, jusque-là, à cela près que toute une série de poncifs médiatico-politiques viennent saupoudrer ce sabir technocratique. Ainsi, la petite citation du Conseiller d’état valaisan Roberto Schmidt, qui nous apprend qu’en matière d’économie d’énergie, comme en situation de Covid, mieux vaut éviter “les règles différentes entre les Cantons”. On semble s’y habituer avec un beau fatalisme, mais il reste étonnant comment chaque crise vient montrer les sempiternelles « limites du fédéralisme ». Harmonisation, toute! Autres victimes toutes trouvées, les illuminations de Noël dans les bâtiments, bien sûr, en ligne de mire de l’Union des villes suisses. Pas de feux du premier août pour la sécheresse, pas de sapins pour les énergies ! Il est pas beau, le progrès !

Qui viendra vérifier la température de mon bain?

Mais il ne s’agit pas de contester ici chacune des mesures proposées. Après tout, la pénurie menace et un Gouvernement doit bien prendre des mesures. On n’en demeure pas moins terrifiés par les solutions qu’il propose au cas où le volontarisme ne suffirait pas. La limitation du chauffage à 19 degrés, par exemple, qui pourrait également concerner les logements : et si je n’ai pas envie d’ouvrir ma porte à un fonctionnaire ? Et quid, également, de l’eau chaude limitée à 60 degrés : finies mes cafetières italiennes ? Devrai-je inviter des inconnus dans ma salle de bain pour vérifier si j’ai le droit ou non de soigner mon rhume dans la baignoire ? 

On le voit, le « bâton » s’inscrit tout de même assez furieusement dans la continuité de la gestion de crise du Covid. Un problème réel, mais auquel on veut immédiatement répondre par un autoritarisme déguisé. On travaille sur une base volontaire, promis, mais si vous n’êtes pas volontaire, votre vie sera un enfer.

On appelle ça la stratégie de la carotte et du bâton. Mais ce sont les ânes que l’on dirige ainsi, pas les citoyens d’un pays libre.




UNIGE se met au Vert (lib)

« De manière générale, les Vert’libéraux s’engagent pour une politique écologique, progressiste et ouverte sur le monde. Ils sont convaincus qu’une autre façon de faire de la politique, éloignée des éternels clivages gauche-droite, est possible. »

Voici un extrait de l’offre de stage reçue par bon nombre d’étudiants de l’Université de Genève, ces derniers jours. Transmise par voie officielle, elle porte sur un poste à 80%, au salaire non précisé, sur une période minimale de quatre mois. Au menu: tâches de secrétariat, gestion des réseaux sociaux ou encore organisation de stands. « Nous vous rappelons que si vous décidez de choisir ce stage en intra-cursus, vous devrez avoir acquis 60 crédits ECTS dont ceux du tronc commun avant de débuter », précise ainsi le courriel envoyé par le secrétariat des étudiants du « Global Studies Institute ».

Ci-dessus, l’offre de stage reçue par les étudiants.

Une proposition très éloignée du champ d’études

Parmi les destinataires de cette missive, un étudiant un peu déboussolé : « J’ai été surpris de recevoir une offre de stage partisane relayée par la messagerie d’une Université publique. Qui plus est, pour un engagement intra-cursus dans un domaine éloigné du champ d’études des relations internationales. En tout cas, c’est la première fois ce que ça m’arrive.» Domaine éloigné, mais relations assez proches puisque la personne de contact au sein des Vert’libéraux, secrétaire général du parti genevois, est un habitué de la maison, titulaire d’un doctorat obtenu en 2019 à l’Unige, ancien vice-président du thinktank Foraus. 

J’ai été surpris de recevoir une offre de stage partisane relayée par la messagerie d’une Université publique.

Un étudiant en relations internationales

« Cela ne me choque pas, à la condition que la même possibilité soit donnée à tous les partis de l’UDC aux Verts », réagit Barry Lopez, étudiant en droit à l’Université de Lausanne et élu PLR. « Pour moi ce qui est le plus important c’est qu’un salaire digne de ce nom soit versé, ce que ne mentionne pas l’annonce. » Un survol des offres de stages proposés par son université offre un certain contraste avec la proposition de stage genevois. On y trouve la possibilité d’aider des dames âgées à faire leurs courses, la veille documentaire au profit de l’institution ou l’accompagnement de futurs élèves. Bien loin, donc, de la participation à la campagne d’un parti politique, aussi honorable soit-il.

Couleur politique indifférente selon l’UNIGE

Contactée, l’Unige ne se démonte pas : « Dans le cadre de leur cursus, les étudiant-es du Global Studies Institute ont la possibilité de réaliser un stage professionnel pour lequel ils obtiennent des crédits. C’est le cas de l’offre de stage à laquelle vous faites référence, qui émane d’un parti mais aurait tout aussi bien pu provenir d’une organisation internationale ou d’une PME », explique Luana Nasca, assistante presse. 

Une telle offre de stage aurait-elle été diffusée au profit d’un parti moins consensuel, UDC ou MCG, voire même PLR ? « Ce n’est évidemment pas la couleur politique qui rend un stage acceptable ou non dans ce contexte, mais bien la nature des activités envisagées qui doit répondre aux critères d’études, comme le fait que le stage soit rémunéré. »

Commentaire

On lit toute l’année, et particulièrement à droite, que les sciences humaines sont l’antichambre du chômage et que ces « usines à ânes » fonctionnent en vases clos. A ce titre, on peut se réjouir qu’un institut cultive des liens avec des partis politiques, tout comme l’on peut saluer certains partenariats public-privé, dans les sciences dites dures, lorsqu’ils contribuent au développement économique de nos régions.

Restent plusieurs questions dans la situation que nous traitons ici : une université, tout d’abord, peut-elle relayer une offre de stage qui ne précise pas le salaire qui sera versé à ses étudiants ? Sans cette garantie, ne risque-t-elle pas de les plonger dans les eaux glacées de la loi du marché, sans bénéfice évident pour la suite de leur formation ?

De surcroit : en rédigeant un courriel à une flopée d’étudiants, pour une seule place de stage, le secrétariat du Global Studies Institue ne fait-il pas tout simplement de la communication politique ? Les liens étroits entre la personne de contact au sein du parti et l’UNIGE, au sein de laquelle il a été chercheur, devraient en tout cas inviter à davantage de vigilance, même au cœur de l’été.

Il ne s’agit pas de jouer aux pères-la-pudeur. Tant mieux si les études peuvent faciliter la prise de contact entre les élèves et ceux qui, au sein du jeu politique, font vivre la démocratie. Espérons donc que l’UNIGE réservera un aussi bel accueil aux propositions de partis qui, habituellement, ne font pas tellement leur marché dans les amphithéâtres.




La haine de la police s’invite au Festival de la Cité

Président de la Ligue vaudoise et avocat, Félicien Monnier est un réac assumé qui ne crache pas sur une bonne bière. Habitant du quartier de la Cité, à Lausanne, il s’est rendu mercredi au festival du même nom, qui fête cette année ces cinquante ans. Un festival qui, à ses yeux, fait partie des incontournables de la vie culturelle du Canton.

Au menu, du “glitch hop électro punk” avec les Fribourgeois de Crème Solaire. “Au début, c’était totalement déjanté et assez rigolo, témoigne l’avocat. La chanteuse avait une énergie folle”. Seul problème, le second degré ravageur du duo a basculé vers tout autre chose à la fin du concert, avec un refrain anti-flics qui a largement déplu à notre festivalier. De quoi le pousser à dénoncer la situation sur Twitter.

“Tout le monde déteste la police”, vraiment?

En tout cas pas Félicien Monnier, qui s’étonne que de tels messages, scandés à la manière caractéristique des Gilets Jaunes, puissent avoir droit de citer dans un festival largement subventionné. “Certains me rétorquent qu’il s’agit de second degré, d’autres invoquent la liberté artistique. Mais qu’adviendrait-il si, par exemple, 250 personnes criaient leur haine des enseignants?” Pour lui, ce qui s’est exprimé devant la vénérable cathédrale de Lausanne n’est rien d’autre qu’un “marqueur de coolitude”. Soit quelque chose de “très superficiel”, mais qui se déploie “sur la base d’un message haineux”. D’autant plus absurde, selon lui, que le reste du spectacle n’était pas du tout dans cette veine.

Il y avait une ambiance de feu

Gilles Valet, programmateur

Présent sur les lieux, les programmateur Gilles Valet ne regrette en tout cas pas d’avoir fait venir le duo déjanté sur scène. Il se réjouit d’avoir vécu un concert incroyable avec “une ambiance de feu”. Les artistes, à ses yeux, “ont le droit d’avoir un côté militant” et ce n’est “pas le rôle du festival de leur mettre des barrières”. Reste que les organisateurs de l’événement, au ton très inclusif, ne feraient pas venir des artistes aux messages haineux envers d’autres groupes. “Crème Solaire” ont un côté punk décalé, rétorque Gilles Valet. C’est le rôle des artistes de choquer et d’interpeller.” L’organisation du festival précise néanmoins que la collaboration avec les services de la Ville sollicités est saine.

Une période difficile pour les agents

Contactée, la Police municipale de Lausanne ne souhaite pas faire de commentaire sur le concert. Elle confirme néanmoins que la période n’est pas simple pour elle: “En raison de la multiplicité des manifestations, en sus du Tour de France, la période s’avère chargée pour le Corps de police.” Autant dire que se faire houspiller dans un tel contexte ne doit pas être des plus agréables.
Et le service de presse de souligner, un brin chafouin, qu’un “récent sondage auprès de la population suisse place la police en première position des institutions dans lesquelles elle a confiance.”




Doit-on continuer à engraisser la RTS?

NON, selon Alec Von Barnekow

«Je trouve cette initiative très intéressante, parce qu’elle replace le consommateur au cœur du débat», entonne Alec von Barnekow, président des JLR fribourgeois. Sans parler au nom de son parti, ce dernier n’ayant pas encore pris position, le jeune libéral-radical se dit favorable à une «meilleure considération des habitudes de consommation de la population, d’autant plus qu’elles ont énormément évolué ces dernières années, en particulier chez les jeunes». Dans un tel contexte, ajoute-t-il, la redevance «doit être repensée pour définir plus précisément à quoi elle doit servir. Il ne s’agit pas, par exemple, de démanteler toutes les télévisions ou radios locales, qui peuvent avoir besoin pour survivre d’un certain soutien financier, et auxquelles les consommateurs sont attachés. Mais il n’est pas juste de maintenir un système dans lequel tout le monde doit payer cher – la redevance audiovisuelle suisse est plus élevée que celles de tous les pays voisins – pour un service qu’il ne souhaite pas forcément consommer.»

Selon le Fribourgeois, la baisse de la redevance à 200 francs proposée par l’initiative SSR apporterait des solutions à ce problème, tout en respectant l’attachement des Suisses aux médias de service public clairement exprimé en 2018 lors du rejet de l’initiative No Billag. Interrogé sur l’argumentaire très libéral des initiants, qui militent pour «plus de marché, moins d’état» et affirment que «seule une concurrence conforme aux lois du marché entre les producteurs médiatiques [serait apte à garantir] une démocratie vivante et performante», le jeune politicien acquiesce: «Les médias forment un marché dans lequel il est normal que s’applique une forme de concurrence». Et le jeune libéral-radical de conclure sur une note optimiste et habilement flatteuse: «En tant que partisan du modèle capitaliste, je crois qu’il existe un fort potentiel d’innovation dans un marché où est mise en œuvre une saine concurrence, c’est-à-dire où il n’y a pas seulement deux ou trois acteurs. La nécessité de satisfaire les consommateurs pousse à créer de nouvelles alternatives. Le Peuple, du reste, est un bon exemple de cette créativité, de cette volonté de proposer des offres nouvelles.»

OUI, selon Antoine Bernhard

Discuter du prix sans doute trop élevé de la redevance, se demander si elle n’est pas mal utilisée ou si les médias de service public font bien leur travail, ce sont certes des discussions pertinentes. Elles n’en demeurent pas moins anecdotiques au regard de l’enjeu majeur du débat dont il est question. Car le parti pris des porteurs de l’initiative «200 francs ça suffit» est résolument libéral: «Plus de marché, moins d’état» lit-on sur leur site. Privatisation, concurrence, indexation de la politique publique sur les habitudes de consommation, tout est là. Une question fondamentale est alors posée: souhaitons-nous libéraliser de plus en plus nos médias de service public ou non? Pour les initiants, la réponse semble évidente: seule une telle libéralisation garantirait une «démocratie vivante et performante». A titre personnel, je ne peux pas adhérer aux dogmes libéraux qui sous-tendent une telle position.

Une question de principe tout simplement: pourquoi les habitudes de consommation individuelles devraient-elles être la boussole de nos actions politiques? Il y a, je crois, dans la notion même de «service public» l’idée d’un espace qui doit échapper au marché, à la consommation et aux fluctuations des modes. Les acteurs privés, contrairement à l’état, ne sont pas soumis à ce même impératif. La concurrence leur impose de poursuivre d’autres objectifs, d’être prêts à sacrifier sur l’autel de leurs intérêts propres et du profit bien des valeurs morales comme la défense du pluralisme ou de la démocratie libérale, pourtant chère aux initiants. On ne doit jamais perdre de vue la question du bien commun. Il serait dangereux de confier complètement aux lois du marché la gestion de l’intégralité des médias. Une partie, au moins, doit en être préservée, afin de garantir certains services particuliers. Certes, l’initiative dont il est question aujourd’hui est très édulcorée, bien loin de la radicalité de sa prédécesseure No Billag. Dans le principe cependant, elle relève de la même volonté: démanteler progressivement les services publics au profit d’une logique de marché qui, à court terme, réglera peut-être le problème d’une politisation excessive de la SSR, mais en apportera bien d’autres par la suite.