Nemo Erectus

Il a brisé le code, jure-t-il avec sa chanson. Ni homme, ni femme – puisqu’il est « iel » – citoyen du monde installé dans la terrifiante ville de Berlin, le chanteur Nemo est le nouveau visage de la Suisse qui gagne. Hourra ! Flonflons ! Nous ne savons plus comment payer l’assurance-maladie et le moindre passage au magasin nous coûte un rein mais un Conchita Wurst imberbe a gagné un concours criard, vulgaire et exhibitionniste ! Comment pourrait-on échapper à l’enthousiasme général ! Qui saurait refuser le nouveau totalitarisme festif ?

Voyez-vous, messieurs-dames (on profite tant que ce n’est pas encore pénal d’écrire cela), sur l’Île aux enfants qui constitue notre réalité quotidienne, peut-être que même un Federer présentait encore trop d’aspérités. Son désir de vaincre, sa sale manie de gagner beaucoup d’argent et de le planquer, voilà qui ne jouait plus. Aussi sommes-nous très heureux aujourd’hui d’enterrer l’ancienne idole, dont la marque de chaussure n’est pas extraordinaire paraît-il. Oui, il nous fallait un nouveau capitaine : ce sera Nemo (son vrai prénom, qui signifie « personne » en latin). 

En vente sur le site de l’artiste, ce T-shirt peut-être pas si ironique.

Notre nouveau capitaine

Pour plusieurs générations, Nemo était d’abord un personnage génial et tourmenté dans le Vingt Mille Lieues sous les mers de Jules Verne. Un homme qui avait un passé douloureux et donc une destinée. Puis Disney en a fait un poisson handicapé. Son ultime avatar, un Biennois qui porte des jupes, a désormais pour mission de nous guider loin des rivages de la binarité des sexes, loin de la conflictualité, loin, en somme, de la négativité inhérente à la marche de l’histoire humaine. « Moi, j’ai traversé l’enfer et j’en suis revenu pour me remettre sur les rails », chante le petit frère du peuple, pourtant né dans un certain confort.

Ce qui devrait étonner, chez le gagnant de l’Eurovision, ce sont moins les questions de genre dont il est le symbole que son étrange mélange de régression infantile complète et de passion pour la loi. Parce qu’il a gagné un spectacle en chantant dans la langue du McMonde, voici en effet un garçon de 24 ans qui veut mettre la société au pas et dire ses quatre vérités au Conseil fédéral : oui, il y cinq ou six ans, tout le monde pouvait encore se marrer quand un type barbu disait « Mais je ne suis pas un homme, Monsieur », à la télé. Aujourd’hui, tout cela a bien changé : la catégorie « non-binaire » doit entrer dans le cadre légal et nul ne saurait contester la reconnaissance étatique d’une projection de soi partagée par tel ou tel individu. En quelques siècles, nous voilà passés du « je pense donc je suis » de Descartes au « je ressens donc la société doit promulguer de nouvelles lois » de Nemo. Que ce rebellocrate gentillet se tourne vers l’État à peine son concours remporté est à ce titre riche d’enseignements.

Les gardes roses de la révolution

Désormais, Nemo est bien plus qu’un artiste, par ailleurs fort talentueux : il est le parfait khmer rose d’une révolution sucrée. Marius Diserens, élu Vert nyonnais, ne s’y trompe d’ailleurs pas en affirmant chez Blick : « En conférence de presse, lorsque Nemo a affirmé que la première personne qu’iel appellerait serait Beat Jans, iel a fait un geste politique puissant. » Et l’on imagine la pointe d’amertume chez cet autre non-binaire, dont l’hyperactivité médiatique n’a pas entrainé d’élection au Conseil national. Peut-être aurait-il fallu apprendre à chanter ?

On a pu lire, çà et là, que Nemo bousculait les codes, comme un Martin Luther King des temps modernes. Rien ne saurait être plus faux : avec son rejet de la maturation psychologique, avec son refus de toutes les frontières (entre les sexes, les pays et entre l’adulte et l’enfant), il incarne à peu près tous les conformismes de l’époque. 

Nemo n’a pas brisé le code. Il vient de nous l’imposer.
Nous sommes entrés, avec lui, dans l’ère du Nemo erectus 

Notre vidéo sur le phénomène :




Après l’Eurovision, résister au nouveau catéchisme

Après de longs jours de matraquage médiatico-politique, il est temps de nous pencher sur le phénomène Nemo et ses sbires.




Oskar Freysinger : « Jamais le monde n’a basculé dans le totalitarisme – certes « mou » – en si peu de temps »

  • Oskar Freysinger, vous signez peut-être le livre le plus politiquement incorrect de l’année avec Animalia. Pourquoi avoir choisi une fable animalière pour décrire la bêtise contemporaine ?

Parce que les animaux, dans leur infinie sagesse, ne risquent pas de me faire subir un « shit storm » mâtiné d’indignation. Les animaux ont leur dignité, eux. Blague à part, comme c’était le cas pour Ésope, La Fontaine, Ionesco et Orwell (« dans « animal farm »), les animaux sont un vecteur de mise en abîme. La deuxième mise en abîme est assurée par le rire. Conjointement, la fable et le rire tirent le lecteur de la torpeur de l’illusion référentielle collective dont les médias officiels lui battent et rebattent les oreilles jusqu’à le rendre sourd. En prenant distance, il est forcé de se remettre en question par l’effet de miroir auquel le texte le soumet. 

  • Si certains dénoncent le « grand remplacement », vous dénoncez quant à vous le « grand chambardement » dans la première moitié de l’ouvrage. De quoi s’agit-il ?

Il s’agit ni plus ni moins que la description délirante et hilarante d’un monde qui devient fou parce que certains « sauveurs » autoproclamés prétendent vouloir le rendre parfait. Il ne saurait y avoir le moindre écart, la moindre fantaisie dans ce « Gestell » (dispositif) déshumanisé postulé par le philosophe Heidegger. Dans notre monde et la jungle du livre, les êtres n’ont plus que le choix entre le bien et le bon, le vertueux et l’intègre, le gentil et l’aimable, des non-choix dictés par des pharisiens et des tartuffes qui ont ouvert la chasse aux mauvais sujets pour tromper l’ennui qu’ils s’inspirent eux-mêmes.

Le « livre premier » intitulé dégénérescence, décrit la descente aux enfers, forcément collective, le « livre second », intitulé régénérescence, va mettre en scène quatre animaux cabossés par la vie – des individus s’assumant, donc – pour esquisser une voie de salut. Au contraire des dystopies d’Orwell et Huxley, la mienne n’est pas désespérante. Au contraire, elle est hilarante et se termine plutôt bien.   

  • WEF, vegans, LGBTQIA+, partisans d’Exit… Vous n’épargnez personne. Est-ce que vous vous sentez aigri ?

Que voulez-vous, j’ai tenté d’être équitable dans la distribution de mes « bontés ». Mais si j’étais aigri, j’aurais écrit un texte revanchard, moralisateur et indigné. Or, j’ai choisi de décrire une décadence joyeuse, fofolle et grotesque. Je me suis fendu la malle tout au long de l’écriture. Pour le style, j’ai été inspiré par ma lecture du moment, « l’homme sans qualités » de Robert Musil, à mes yeux le plus grand roman de langue allemande jamais écrit, qui traite de la lente déchéance de l’empire austro-hongrois avant la première guerre mondiale avec ses psychoses, ses faux-semblants, ses petites traîtrises, son hypocrisie et sa vacuité. Quant au déclencheur de mon écriture, ce fut une phrase de Dürrenmatt qui m’a profondément marqué. Elle postule qu’une histoire n’est vraiment finie que lorsqu’elle a trouvé la pire fin possible. Il ajoute que la pire des fins que puisse prendre une histoire, c’est de basculer dans le grotesque.

“Sans l’occident et sa politique désastreuse au Moyen-Orient et au Maghreb l’islamisme serait resté embryonnaire.”

Oskar Freysinger

  • Avec seulement deux pages à leur sujet, les islamistes (représentés par un dromadaire) s’en tirent plutôt bien avec vous, pour une fois…

Depuis que les USA se sont avérés être (avec les Saoudiens) les bailleurs de fonds principaux de l’État islamique, qu’ils ont initialement formé et soutenu Bin Laden et qu’Israël fut l’un des soutiens financiers majeurs du Hamas (par l’intermédiaire du Qatar) pour tuer dans l’œuf la solution de deux états par la division de l’autorité palestinienne, je me dis que l’islamisme n’est que l’idiot utile de l’histoire. Deux pages suffisent pour en esquisser les limites. Sans l’occident et sa politique désastreuse au Moyen-Orient et au Maghreb l’islamisme serait resté embryonnaire. Désormais, il est l’alibi parfait pour toute sorte de forfaitures, d’invasions, de massacres et de lois liberticides (anti-terroristes). Rien de tel qu’un ennemi taillé à la hache pour faire peur au citoyen qui préfèrera toujours la sécurité à la liberté. Depuis que l’islamisme a cédé la place à l’intégrisme qui préfère le combat du ventre fécond au combat des tripes à l’air, les Russes l’ont remplacé en tant qu’ennemi idéal à haïr sans modération. 

  • En page 82, vous écrivez : « Les derniers hommes honnêtes sont les prétendus complotistes, les asociaux, les négationnistes et les emmerdeurs. » Vous recherchez les procès ?

À mes yeux, une personne qui dit oui à tout ne peut être honnête. Soit elle manque de courage, soit elle veut plaire à tout le monde, soit encore elle a été lobotomisée. Qui a fait avancer l’histoire humaine ? Qu’est-ce que des gens comme Socrate, le Christ, Spinoza, Galilée, Voltaire, Victor Hugo et Zola ont en commun ? Ils ont osé dire non. Or, ce refus fut le point de départ d’un bouleversement dans l’esprit des gens qui transforma profondément et durablement la société humaine. À tous, on leur fit le procès. J’en conclus que si « Animalia » devait me valoir un procès, je serais en bonne compagnie.

  • On a parfois l’impression que vous faites du Covid la matrice de toutes les absurdités modernes, dans votre récit. N’est-ce pas un peu exagéré ?

Vous verrez que les historiens du futur ne parleront pas d’une césure civilisationnelle de l’an 2000, mais de l’an 2020 ! Jamais dans l’histoire humaine, un tel mouvement de panique planétaire assorti de mesures liberticides n’a eu lieu. Jamais le monde n’a basculé dans le totalitarisme – certes « mou » – en si peu de temps. Puis s’ensuivit, coup sur coup, l’hystérie climatique, la sanctionnite aigüe contre la Russie et l’aplatissement de Gaza. Résultat : la ruine financière, intellectuelle et morale de l’occident s’est révélée au grand jour et accélérée de telle sorte que les citoyens se sentent fragilisés, abandonnés et insécurisés au point d’accepter la gestion bureaucratique planétaire que les « buveurs d’âme du mont Kibo » dans mon livre, et les « Davosiens du WEF », de l’OMS et du Deep State américain dans la réalité, proposent en remède comme ils l’ont fait avec les vaccins Covid. Ils commencent déjà à mettre au goût du jour le virus H1N1 et trouveront autre chose s’il s’avère insatisfaisant à légitimer leur prise de contrôle absolu.

  • Vers la fin du livre, on peut lire : « Quand le monde est fou, seul le ridicule fait sens. » Est-ce qu’il ne faudrait pas, au contraire, redonner à nos société un sens de la dignité ?

Qu’y a-t-il de plus digne que d’oser rire à la face hideuse d’un pouvoir dévoyé ? Le rire et l’humour le déstabilisent et fragilisent son univers carcéral spirituel et matériel. Le pouvoir veut et doit être pris au sérieux s’il entend durer. Narcissique et mythomane, il n’a que sa carapace bardée de pointes acérées pour se défendre. L’autodérision lui est interdite et le rire est son pire ennemi. On peut trancher la gorge des gens, les torturer, s’ils parviennent à rire devant leur bourreau, ils font preuve de la plus grande des libertés. La dignité, elle, est noble en soi, mais elle ne peut rien contre celui qui n’en a pas. La dignité bâtit des temples dans l’invisible, le rire est une arme concrète qui fait vaciller les trônes dans le monde réel. J’ai voué toute ma vie aux lettres parce que je suis convaincu que le verbe finit toujours par triompher de la force brute. 

  • Achevé en 2021, votre roman sort chez Selena Éditions, une maison française, trois ans plus tard. Est-ce que cela signifie que personne n’a eu le courage de vous publier en Suisse ?

J’ai effectivement envoyé mon manuscrit à plusieurs dizaines d’éditeurs de tout bord. Les bien-pensants, voyant mon nom, faisaient la moue et trouvaient mille excuses formelles pour ne pas me publier. Les éditeurs de droite, quoiqu’admiratifs du texte (« c’est un ovni littéraire », « c’est La Fontaine ayant fumé du crack » et j’en passe) eurent au moins l’honnêteté d’avouer que le risque était trop grand et qu’ils ne voulaient pas mettre en péril leur maison d’édition. C’est finalement une femme, Aleksandra Sokolov des éditions Selena, qui fit preuve d’un courage et d’une détermination hors du commun et, faisant abstraction de mon passé, des cris d’orfraie outrés des bienpensants et du caractère explosif de mon texte, décida de le publier afin « d’être digne de sa vocation d’éditrice ». Je lui voue une admiration sans bornes. Voilà quelqu’un qui n’a pas besoin de transplantation « pour en avoir ».

L’autre sortie de Freysinger aux éditions Selena. Plus apaisée…

  • En même temps qu’Animalia, vous sortez un autre livre : il s’agit d’un récit, L’Oreille aveugle, livré avec une réédition du Nez dans le soleil. Vous vouliez montrer aussi un visage plus apaisé ? 

L’idée vient de mon éditrice. Lui ayant envoyé la vingtaine d’œuvres que j’ai fait publier depuis plus de deux décennies, elle a été subjuguée par la grande variété de styles et la diversité de mes écrits. Elle a voulu montrer, par cette double-publication, deux types d’écriture totalement différents quoiqu’issus de la même plume. Pierre-Yves Luyet, sourd-muet de naissance, menacé de cécité totale, autiste (asperger) et souffrant de problèmes d’équilibre a commencé à voyager par le vaste monde dès le moment où les médecins lui ont annoncé son inéluctable cécité. Son histoire a été relatée dans une émission de la TSR : le voyage aveugle. 

C’est une histoire qui démontre que le sort peut bien s’acharner sur certaines personnes, elles trouveront toujours un moyen pour ne pas désespérer et même s’épanouir malgré les difficultés.

L’autre histoire, un monologue court, fleure bon le terroir valaisan, les vignes, les bisses et les pâturages entre le serpentement scintillant du Rhône et les arêtes enneigées mordillant le bleu du ciel.

Les deux textes se complètent parfaitement en raison de la démarche opposée des deux protagonistes principaux : L’un, le multi-handicapé prisonnier de son « bocal » trouvera la liberté par le mouvement et la découverte de lointaines contrées, l’autre, Vital Héritier dit « pépé », vigneron valaisan à l’ancienne enraciné dans sa terre natale, va attirer le vaste monde à lui en renaturant le bisse de Lentine pour le transformer en un jardin botanique luxuriant. Il n’y a pas de voie tracée vers le bonheur. C’est chacun la sienne.  

En librairie dès le 17 mai 2024 en France et dans tous les pays francophones.
Cliquer ici pour commander les livres sur le site de la maison d’édition.

Pour découvrir les raisons qui ont poussé son éditrice à sortir Animalia, ainsi que notre chronique du livre, merci de vous connecter ou de prendre un abonnement.

Le témoignage de l’éditrice, Aleksandra Sokolov

j’ai été d’abord convaincue par les qualités littéraires d’Oskar Freysinger qui est un personnage d’une multipotentialté extraordinaire dans bien des domaines de créations et j’ai aimé Animalia car c’est le monde dans lequel nous vivons même si il est évidemment exagéré dans les extrêmes… nous n’en sommes toutefois pas si loin… 

J’ai toujours défendu l’œuvre littéraire même des auteurs les plus enviés ou détestés, mais avec un talent indéniable ! J’ai publié les oeuvres d’un grand expert en avant-garde russe, Andréi Nakov, aujourd’hui décédé et auquel le Centre Pompidou rend hommage ce mercredi. Ses publications m’ont valu des menaces de mort mais je suis encore là…

Je pense que le métier d’éditeur et d’être un « passeur » de savoir et d’opinions… je n’ai aucune prédispositions, ni politique ni culturelle mais je pense qu’il faut mettre en avant les gens qui le méritent.

L’édition est devenue une passion et ne me permet pas de vivre depuis plusieurs années mais j’équilibre et je publie en toute liberté ce qui me paraît intéressant de mettre en avant. Néanmoins, il est difficile de se frayer un chemin dans les médias en tant que petite structure d’édition ! Il faut garder espoir ! C’est mon chemin de vie…

Notre chronique

Avec Animalia, Oskar Freysinger nous propose dystopie dans la ligne de Orwell et Huxley, mais postmoderne et souvent drôle. Achevé en juin 2021, le livre est fortement marqué par l’épisode du Covid et par les restrictions de liberté qui s’étaient alors abattues sur la population durant la pandémie. 

Pour autant, dans un récit saturé de jeux de mots grivois et d’allusions vachardes, il arrive régulièrement à l’auteur de toucher à l’intemporel avec ses histoires de bestioles. Ainsi, dans la jungle égalitaire et dystopique où se déroule l’action surviennent des personnages évoquant tantôt le Rebelle de Jünger, tantôt le Zarathoustra de Nietzsche, quand ce n’est pas le moraliste chrétien. Dans le fond, la fresque d’Oskar Freysinger semble dirigée vers un but central : nous apprendre à « rétro-développer » (comme il l’écrit en page 238) des réflexes naturels que nous aurions perdus sous un certain totalitarisme suave et maternant.

On peut juger la méthode parfois « populiste », pour ceux qui tiennent ce mot pour un reproche, parfois un peu « bourrine » pour les autres, mais reste une certitude : il y a une joie certaine à voir le vieux lion envoyer paître tous ceux qui, misant sur notre instinct grégaire, nous croient plus bêtes que nous le sommes. 




Une université à la Hamas

Au milieu des années 2000, alors que j’étais étudiant à l’Université de Lausanne, une affichette avait attiré mon attention. Un mouvement qui réunissait des étudiant.e.x.s et des assistant.e.x.s encore injustement dépourvus de « x » à l’époque – sans doute le Groupe Regards Critiques – avait invité un porte-parole du Hezbollah à donner une conférence à la gloire de la lutte armée. J’étais jeune, mais j’avais déjà l’esprit étroit et méchant. Aussi m’étais-je étonné qu’un cadre si progressiste, où le cervelas et l’humour étaient bannis, déroule le tapis rouge à un mouvement paramilitaire islamiste. Surprenant programme que l’amitié entre les peuples au nom d’une haine commune d’Israël. Mais je n’avais rien dit.

Sans doute avais-je eu raison car certaines choses ne souffraient déjà plus la contradiction. Lorsque j’étais au gymnase, par exemple, mes congénères et moi avions été vivement encouragés à défiler dans la rue en criant « Bush, Sharon, c’est vous les terroristes » tandis que les États-Unis tentaient d’exporter leur modèle de société en Irak et en Afghanistan. Bush était certainement un sale type, Sharon aussi, mais défiler avec des gens était au-dessus de mes forces et j’étais parti acheter Muscle et Fitness ainsi que Flex, dans l’espoir de développer mes deltoïdes postérieurs. Quinze ans plus tard, je sais que j’aurais réagi de même, même si on ne trouve malheureusement plus Flex en kiosque, lors des méga-manifestations pour le climat. A la sympathie que peut susciter en moi une cause répondra toujours la détestation plus forte de l’abruti capable de crier des slogans dans un mégaphone.

Une moraline à géométrie variable

Depuis quelques jours, des jeunes gens occupent l’université où j’ai découvert Saint Thomas d’Aquin, Nietzsche et Péguy. Ils dénoncent une occupation, mais pas la leur. On les laisse faire, même si leur colère peut surprendre. Où étaient ces belles âmes, ces derniers mois, tandis que les Arméniens fuyaient le Haut-Karabakh ? Pas assez exotiques ? Trop banalement chrétiens ? Quid de la situation des Ouïghours ? Enfin, que diraient ces gens si un autre groupe de manifestants occupait un bâtiment universitaire pour demander le retour des otages du Hamas ? 

“From the river to the sea” entonnent les manifestants à la fin de cette vidéo partagée par le président du PS Vaudois.

Nous sommes Suisses, et comme pays neutre, nous n’avons pas à tolérer que les lieux d’études que nous payons avec nos impôts se transforment en université d’été (ou plutôt de printemps) du Hamas, de solidaritéS ou d’adorateurs du monstre du spaghetti volant. 

S’agit-il de fermer les yeux sur un désastre humanitaire ? Certes non, mais on se demande bien combien de vies seront sauvées par les opportunistes qui portent un keffieh depuis cinq jours, comme ils déguisaient naguère en guérilléros de la décroissance. Il est temps que nos lieux de savoir retrouvent leur vocation, qui n’est pas de servir de tremplin à des carrières médiatiques. Il est temps que nous formions de nouveau des élites capables d’apporter un peu du génie suisse dans ce monde.

Oui, osons parler du « génie suisse » ! Lorsque mon pays n’avait pas encore renoncé à sa destinée, ce terme désignait bien des choses, dont une tradition de « bons offices » rendue possible par notre neutralité. Si l’on n’y prend pas garde, ce terme n’évoquera bientôt plus que le rappeur non-binaire Nemo qui doit nous représenter à l’Eurovison, 




Quand la RTS compare Donald Trump à Hitler

Cet article se trouve également sur le site de l’organisation Pro Suisse.

« Trente secondes de reportage pour comprendre que c’est à charge ! Bravo l’impartialité des journalistes !! ». Salué par 67 internautes sur YouTube, ce commentaire est à l’image de la grande majorité des réactions générées par un reportage de Temps Présent diffusé le 11 avril dernier, et encore visible en ligne. Son « angle », comme l’on dit dans le jargon des journalistes : « Et si les États-Unis vivaient leur dernière année de démocratie ? ».

Les heures les plus sombres

Dès les premiers instants du documentaire, la voix off de la journaliste donne le ton : en à peine plus de deux minutes, le public apprend déjà que « Donald Trump n’est connu ni pour sa modération ni pour son intégrité », qu’il est « l’un des hommes les plus dangereux du monde à l’heure actuelle » et qu’il mettra en œuvre son « programme radical » dès qu’il refranchira la porte du Bureau ovale.

Un élu qui applique le programme pour lequel il est élu, voilà qui peut effectivement surprendre, dira-t-on.

Mais surtout, avant même d’entrer dans le cœur de son sujet – une virée chez les pro-Trump floridien – la voix off donne le coup de grâce en glissant que les mimiques du politicien républicain « rappellent des temps sombres », sans préciser si elle fait allusion à Mussolini ou Hitler. En guise de cerise sur le gâteau, un bruit de coup de feu est alors utilisé comme illustration sonore de ce probable retour vers l’autoritarisme.

Faites-vous votre avis !

Service public, mais pas neutre

Président de 2017 à 2021, Donald Trump n’est certes pas un modèle de vertu aux yeux de tout le monde, y compris au sein du monde conservateur. Mais dans l’intérêt supérieur d’un pays neutre comme la Suisse, peut-il être pareillement diabolisé par le service public ? Pas aux yeux du député UDC valaisan Jérôme Desmeules, ouvertement sympathisant du milliardaire américain : « Magnifique Temps Présent, comme toujours objectif, ironise-t-il. Il fait passer Trump pour le salaud agressif alors que le retour vers un monde au bord du conflit généralisé a été provoqué largement par le retour au pouvoir du complexe militaro-industriel soutenu par le camp du “Bien”… »

Le reportage aurait-il été finalement plus outrancier que le politicien qu’il se donnait pour objectif de dénoncer ? On peut le penser car la RTS ne le cache pas : le reportage fait bien allusion à Hitler à propos des « heures sombres » que rappelleraient les mimiques de Trump. Elisabeth Logean, présentatrice et co-productrice de l’émission, l’assume ouvertement : « L’idée de ce reportage était d’imaginer l’Amérique de demain si Donald Trump était réélu à partir de ses déclarations et intentions. L’ex-président a ainsi annoncé vouloir purger l’Administration fédérale ou utiliser le FBI et le département de la Justice pour neutraliser ses adversaires ; autant d’intentions qui s’apparentent à des comportements de dirigeants autoritaires. Le rappel des années sombres fait référence à ses déclarations sur les migrants « qui empoisonnent le sang de notre pays », qui rappellent les propos d’Hitler sur les Juifs ; la question de l’intégrité est évoquée en lien avec ses condamnations récentes, dont une pour fraude financière. »

Une tarte à la crème qui fatigue

En mars, une vive polémique avait suivi une déclaration de Slobodan Despot jugée pro-russe, dans les Beaux Parleurs. L’intellectuel y annonçait que le nazisme était de retour dans les pays baltes. « Indigne d’un invité quasi-permanent du service public », « outrancier » avaient jugé beaucoup d’observateurs, y compris au sein de la chaîne. Visiblement, des comparaisons du même tonneau posent moins de difficultés quand elles concernent Trump, et sont dressées par le propre contenu de la RTS.

Elisabeth Logean se défend cependant de toute impartialité dans le reportage : « Nous avons tenté de comprendre pour quelles raisons ses partisans le soutiennent, malgré les menaces que son programme fait peser sur le bon fonctionnement démocratique des États-Unis. Les craintes dans ce domaine sont exprimées non seulement par des démocrates ou des spécialistes des régimes autoritaires, mais aussi par des prestigieux penseurs de droite, comme le néo-conservateur Robert Kagan. Dans le reportage, nous donnons la parole à des partisans de Donald Trump, mais aussi à ses critiques, de sorte à donner à voir et entendre différents points de vue. »

A supposer qu’il tombe un jour sur ce reportage, pas certains néanmoins que le politicien peroxydé se précipite pour tailler le bout de gras avec Philippe Revaz au 19h30.




L’invitation ubuesque du Bureau de l’égalité

« Cliquez sous ce message pour vous inscrire à la soirée à laquelle vous n’êtes pas conviés » : en substance, voici le message adressé aux députés mâles vaudois par un service de l’État.   

« Madame la députée, Monsieur le député, le Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes (BEFH), en partenariat avec le Bureau de l’égalité de la Ville de Lausanne, a le plaisir de vous proposer, à trois reprises, une soirée thématique sur la prévoyance professionnelle réservée exclusivement aux femmes. »

Voici le message un brin contradictoire reçu par les membres du Grand Conseil vaudois au milieu du mois dernier : une invitation à une action réservée aux femmes, mais adressée à tous les hommes du législatif… Et le courriel de préciser que les inscriptions pouvaient se faire en cliquant sur une image située sous le message reçu par tous les élus. 

Un extrait du message reçu le Grand Conseil vaudois. Suprenant…

Beaucoup de temps à disposition

« En Suisse, l’écart de rente entre femmes et hommes s’élève à 32,8% en Suisse (OFS, 2021), l’un des plus hauts d’Europe. Cet écart se creuse dans le 2ème pilier et se monte à 46% en défaveur des femmes », rappelle le BEFH. À ce titre, une politique volontariste comporte assurément quelques vertus. Mais pour le député UDC Fabrice Moscheni, la démarche est tout de même très particulière. « Merci pour l’invitation, a-t-il répondu à l’adresse du Bureau de l’égalité. Mais vous écrivez que c’est exclusivement réservé aux femmes. Vu que je suis un homme, ai-je le droit de venir ? » 

La réponse à cette question simple ? 3640 signes (espaces compris) citant pêle-mêle des articles de lois, une convention des Nations Unies de 1979 ou encore des chiffres de l’Office fédéral de la statistique. Pour le moins complètes, ces explications signées Maribel Rodriguez, la cheffe du BEFH, ne répondaient cependant pas directement à la question qui lui était posée. « En résumé, est-ce donc correct de dire que je n’ai pas le droit de venir ? », lui a donc rétorqué le député, un brin agacé. Une nouvelle demande qui lui a permis d’apprendre, enfin, qu’il ne partageait pas « les caractéristiques du public cible de ces soirées ».

Des inégalités dans la poursuite de l’égalité

Quel est le sens d’envoyer tous azimuts une invitation réservée à une catégorie bien précise du public ? « La diffusion large d’information concernant ces évènements a pour but d’atteindre directement le public auquel ils sont destinés, mais également indirectement à travers des personnes susceptibles de pouvoir les diffuser plus largement aux public cible concerné qui ne figurerait pas dans nos listes de diffusion », nous explique Maribel Rodriguez. Elle nous invite en outre à lire un dossier consacré à la question des écarts de prévoyance entre les femmes et les hommes dans un numéro du PME magazine, ainsi que les informations de la Raiffeisen sur cette même question.

L’an dernier, un député avait déjà alerté le Canton à propos de la situation d’un homme victime de cette “discrimination positive”. Merci de vous connecter ou de prendre un abonnement pour découvrir la réponse du Conseil d’État.

En août 2023, le Conseil d’État avait déjà répondu à une interpellation un brin courroucée du député – également UDC – Fabrice Tanner. Son point de départ : la mésaventure d’un homme qui avait réduit son taux de travail depuis quinze ans pour s’occuper de ses enfants, mais qui s’était vu refuser l’accès à une séance d’information… sous prétexte qu’il était un homme. « Tant que la demande et les écarts de rente ne faibliront pas, les mesures temporaires positives seront justifiées et non discriminatoires », avait répondu l’exécutif. 

Mais tout autant que le fond, c’est la forme qui agace Fabrice Moscheni : « En tant que politicien de milice, je n’ai malheureusement pas un temps infini à consacrer à la chose publique. Qu’un bureau de l’État m’envoie des invitations qui précisent en même temps que je n’ai pas le droit d’y aller est assez lunaire. De plus, lorsque, à ma demande de confirmer que je suis interdit de participation, une cheffe de service m’envoie une réponse contenant une multitude de textes officiels sans, finalement, répondre clairement à ma question, m’interpelle. » 

Un agacement qui lui inspire cette pique finale : « Au-delà du sentiment de discrimination, je peux aussi comprendre que certains Vaudois se sentent perdus lors de leurs échanges avec l’administration cantonale vaudoise ».




Une discussion honnête à propos de la GPA

Le débat sur la gestation pour autrui a récemment redoublé d’intensité. L’occasion de revenir sur une question de fond : la guerre du progressisme contre les femmes.




Édition 33 – Pour en finir avec le wokisme

Chers amis, chers abonnés,

Elle est partie ce matin à l’imprimerie, mais la voilà déjà en ligne pour vous : notre nouvelle édition, qui déborde de bonnes choses. A tel point que nous avons déjà dû en mettre de côté pour la suivante !

Bonne découverte à tous et, pour nos anciens clients en ligne sur la plateforme partager.io, n’oubliez pas : vos abonnements n’étant plus automatiquement reconduits, il est temps de passer dans notre nouveau système.  

Consultez la nouvelle édition numérique




L’observatoire du progrès // Avril 2024

Avec nos excuses

Face au déluge d’articles dithyrambiques consacrés à l’église urbaine « Espace Maurice Zundel », à Lausanne, une réflexion a fait l’effet d’une fausse note : une chronique du Peuple de février analysant le type de théologie proposée en ce lieu créé par la paroisse du Sacré-Cœur. Président de la Fondation Maurice Zundel, l’abbé Marc Donzé vient cependant de donner quelques précisions fort utiles à cath.ch. Si yoga, qi gong et méditation zen seront au programme de la structure œcuménique, le prêtre précise que des cérémonies bouddhistes n’y seront « probablement pas » hébergées. Une fermeté qui vient balayer nos derniers doutes et valait bien un très catholique mea-culpa.

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Si jeunes et déjà si conformistes

Expositions, conférences, festivals, visites, projets originaux… Le gymnase d’Yverdon met le paquet pour célébrer – pardon « commémorer » – ses 50 ans. Dans ce cadre hautement festif et citoyen, le journal La Région a donné la parole le 18 avril dernier à plusieurs élèves pour nous mettre en garde contre le danger du « racisme systémique ». Eh oui, ne vous y méprenez pas, malgré des efforts louables pour l’éradiquer, le mal sévit entre les murs de l’institution comme partout ailleurs. Il s’agit du reste d’une « question capitale » selon un encadré de l’article, qui nous invitait à participer à une soirée de discussion sur le thème, au Musée d’Yverdon et région. Passé colonial de la Suisse, persistance des imaginaires racistes, éloges de la multiculturalité étaient au menu des échanges. Qui aurait imaginé qu’un jour l’éducation serait célébrée par une dose aussi massive de rééducation ?

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L’inclusivité à l’ombre des caravanes

Yverdon-les-Bains, toujours, où la lutte contre les préjugés prend décidément une tournure héroïque. Ces dernières semaines, la Ville a en effet connu quelques « incivilités » et « débordements » lors de l’installation d’une communauté de « gens du voyage » près du parc scientifique et technologique d’Y-PARC. Or, dans un communiqué, la commune ne nie pas avoir connu des difficultés à les convaincre de partir, mais que l’on ne s’y trompe pas : même là, le progrès… a progressé ! Ledit communiqué nous apprend en effet que ces discussions ont eu lieu avec les « représentant·es» des familles concernées ! Pour qui a déjà visité un camp de « gens du voyage » adeptes des « débordements » et « incivilités », la présence de dames parmi les interlocuteurs des autorités a de quoi nous prouver que le patriarcat vacille même là où on s’y attendrait le moins. 

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Téléphone brun

Ancienne militante identitaire française, la délicieuse Thaïs d’Escufon s’est reconvertie depuis plusieurs mois dans les conseils de drague pour jeunes droitardés. Sur son site, une proposition a de quoi nous mettre des étoiles plein les yeux : « Pendant 30 minutes, dites tout ce que vous avez à me dire. Et ensemble, on pourra trouver une solution à votre problème ! » Tarif : 300 euros. Morale de l’histoire : la délinquance étrangère est peut-être méprisable, mais que penser du procédé consistant à arnaquer les pauvres bougres de son propre peuple ?

Petite analyse de l’œuvre écrite de la dame.

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Notre expertise

Pénible séance de catéchisme cordicole dans l’émission On en parle de La Première, le 11 avril. Au programme, communication non violente, qui s’écrit visiblement « Communication NonViolente » pour faire plus moderne. C’est vrai qu’on n’en parle pas assez de l’importance des ressentis, de l’empowerment dans le monde de l’entreprise ou de l’éducation bienveillante. Merci au service public de combler ce manque.

Peut-être existe-t-il aussi des experts en communication violente. C’est sans doute un boulot qui nous plairait.

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La Croix-Bleue se fait Verte

« L’alcool dans les repas des crèches et parascolaires (sic) neuchâtelois, c’est fini ! » Tel un cri de triomphe dans les ténèbres de la tradition culinaire, voici comment ArcInfo.ch a annoncé la fin d’une déplorable exception à La Chaux-de-Fonds, le 19 avril. Heureusement dénoncée au Grand Conseil par une députée Verte du nom de Barbara Blanc, une structure parascolaire venait de « revoir sa pratique », nous dit-on, dans la Mecque de l’urbanisme horloger. Joie ! Félicité ! Nouveau triomphe de la vertu ! C’en est fini des coqs au vin, du jambon au madère et des résidus de pinard pour tous les gamins du Canton. 

Viendra le jour où il n’y aura plus que les grandes épurations éthiques – concept de Philippe Muray – pour nous saouler. 

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Querelle de chiffonniers

« Des chiffons vaudois pour ripoliner Lausanne ». Tel est le titre d’un communiqué envoyé par le service de communication de la Capitale olympique, le 10 avril dernier. Enchantés, subjugués, nous y apprenions que la Ville s’approvisionnait désormais en chiffons recyclés auprès de Textura, entité de Démarche, à Beaulieu. Une belle preuve, selon le texte, d’un engagement « pour une politique d’achats durable […] privilégiant l’économie circulaire et les circuits courts ». Le jour de la diffusion de ces lignes, une violente altercation « liée au milieu des stupéfiants » éclatait à la Riponne, suivie de l’arrestation d’un homme armé d’un couteau.

La bonne nouvelle étant que l’on a certainement pu nettoyer l’arme de façon écologique.
 




Pour en finir avec le wokisme (qui n’existe pas)

Jusqu’au dernier quart du 20ème siècle, nos sociétés vivaient encore dans des temps historiques. Les pouvoirs en place (Église, famille, armée…) ne se cachaient pas d’être exclusifs et verticaux. Il était hors de question pour eux de partager leurs privilèges et leurs prérogatives :  ils connaissaient encore souvent, à ce titre, une chose qu’on appelait la contestation. 

Le crime de pensée n’avait pas encore été éradiqué, une batterie d’articles de loi à l’appui, et une autre réalité pouvait encore faire rêver. Beaucoup s’employaient à la faire advenir, d’ailleurs. Lorsque les jeunes bourgeois de Mai 68 jetaient des pavés dans la rue contre la police et l’ancien monde, leurs idéaux gauchisants pouvaient certes paraître grotesques ou dangereux, mais ils dénonçaient un adversaire à peu près vivant. Le général de Gaulle était encore au pouvoir, la famille n’avait pas volé en éclats grâce à l’omniprésence des spécialistes du genre et l’Église ne renonçait pas encore à sa singularité en cherchant à « cheminer » avec ses fidèles pour leur faire pratiquer le qi gong dans des « city churches ».

Square Charles de Gaulle, Toulouse, en 1968. Ou quand la révolte s’inscrivait encore dans l’histoire. (André Cros/Wikimedia Commons)

Mais dans la carnavalisation terminale du McMonde qui vient, qui saura encore dénoncer le ridicule d’une assurance maladie qui nous apprend à préparer des gâteaux, faire des tours à dos de poney et ramasser des déchets durant notre footing ? Pas grand monde. Il faut dire que les bons sentiments sont devenus hégémoniques. Un exemple ? Dans notre réalité de substitution, même les manifestations contre les autoroutes prennent désormais la forme de « cyclo-parades festives et politiques » (24 heures du 20 avril dernier). DJ à vélo, exposition en collaboration avec le festival BDFIL et demande de requalifier le tronçon d’autoroute Ecublens-Maladière « en boulevard urbain » … Aucun artifice de la sacro-sainte fête ne saurait être oublié pour une « commémoration » (sic) en bonne et due forme des 60 ans de l’A1 entre Lausanne et Genève. 

« Chacun veut la même chose, tous sont égaux »

Dans un tel Disneyland de la contestation, plus personne ne veut renverser le pouvoir : pourquoi y songer puisque la révolte elle-même est organisée par les élus que nous entretenons ? A quoi bon dénoncer encore nos bons maîtres puisqu’ils sont là, devant nous, représentés par les conseillères nationales Brenda Tuosto (PS/VD), Léonore Porchet (Verte/VD et co-directrice de BDFIL) ou par l’inénarrable président du Parti socialiste vaudois Romain Pilloud, secrétaire général de l’ATE Vaud ? Des rebelles d’État s’opposent au travail de ce même État – garantir une mobilité décente digne d’un pays riche – à grand renfort de subventions : la boucle est bouclée. Empapaouté, tout un pan de la jeunesse est là, qui approuve totalement la marche du monde tel qu’il va, noyé dans un océan de décibels et d’écologisme de surface. « Point de berger et un seul troupeau ! Chacun veut la même chose, tous sont égaux : qui a d’autres sentiments va de son plein gré dans la maison des fous », comme l’annonçait Nietzsche dans son Zarathoustra.

Portrait de Nietzsche par Munch en 1906. Quelque chose d’un prophète de la décadence.

Certains, heureusement, n’ont pas encore totalement désappris à penser. S’ils sentent le ridicule de notre épuisement civilisationnel, ils tentent de lui donner une cohérence sous l’appellation de « wokisme ». Nul ne sait vraiment où commence et où s’arrête le concept, et des notions aussi diverses que la « masculinité toxique », les « oppressions systémiques » ou la « non-binarité » lui sont généralement associées. Mais quid du combat pour la « libération animale », omniprésent dans les années 2010 ? Quid du transhumanisme ? Du sans-papiérisme ? Et que faire des contradictions internes d’un mouvement qui surinvestirait la portée de la biologie dans un sens (le Blanc naîtrait oppresseur et le Noir victime) tout en la niant dans un autre registre en préférant « l’expression de genre » au donné naturel du sexe ?

Le carnaval pour horizon

Peu importe, wokisme ! Ainsi naît un épouvantail bien pratique, mais qui ne nous aide pas à penser. Au contraire, il nous présente comme de radicales nouveautés des tendances à l’œuvre depuis des décennies. Dans son journal intime de 1994-1995, l’écrivain Philippe Muray ne s’énerve-t-il pas ainsi déjà contre la tendance à réécrire la vie des grands écrivains pour la rendre plus conforme à la moraline moderne ? Oui, ce qu’on appellerait plus tard la « cancel culture », ou « culture de l’annulation », est déjà bien là dans la volonté d’un scribouillard de dénoncer l’indifférence de Shakespeare devant les malheurs des paysans de son temps (p.161). Quant à la masculinité toxique, Muray la dénonce déjà en 1994 à propos du « mur de la honte » d’une importante université américaine où sont affiché les noms des harceleurs… et de ceux qui est suspectés de le devenir un jour (p.103). Et l’écrivain de résumer le tout en une formule lapidaire : « La persécution au nom de la lutte contre les persécuteurs » (p.83).

Que l’on cherche à englober tout cela dans l’idée plus générale d’un « wokisme » qui rongerait nos sociétés, pourquoi pas, après tout. Muray parle lui de « cordicolisme » ou de carnavalisation du monde. Peut-être cette dernière notion est-elle toutefois la plus efficace : moment hors du calendrier, moment d’inversion des hiérarchies naturelles, moment bruyant, sans doute le carnaval est-il bien la matrice du monde moderne.  

Puisse bientôt revenir un mercredi des Cendres.