Une précocité politique qui divise

Initiative «99%» de la jeunesse socialiste, légalisation de la polygamie proposée par les Jeunes PLR, gratuité des transports publics voulue par les Jeunes Verts… l’implication croissante de la jeunesse en politique semble entraîner une forme de radicalité. Cet engagement militant très marqué – que de nombreux observateurs voient d’un bon œil – est-il réellement souhaitable?

Nicolas Jutzet, ancien membre du PLR – dans lequel il s’était engagé à 20 ans – et ancien coordinateur de la campagne «No Billag» en Suisse romande, parle d’expérience: «Avec le recul, je conseillerais à un jeune de ne pas s’engager dans un parti politique pour ne pas s’imposer de carcan collectif et demeurer un esprit libre.» Pour le Neuchâtelois, actif maintenant dans la sphère métapolitique avec son média Liber-thé, le problème vient de la structure des partis politiques : «Elle mène nécessairement à une forme de conformisme, puisque le parti a intérêt à ce que tous ses membres aient la même ligne.»

Plus à droite, l’ancien président de l’UDC du Valais romand Cyrille Fauchère nuance: «Le cas est différent dans chaque parti. Il est vrai qu’on encourage parfois trop les jeunes à développer un esprit militant sans être suffisamment versés dans la culture du débat d’idées.» Un défaut qui, selon le Valaisan, touche surtout les partis bien implantés dans le tissu local – comme les partis réputés au centre – qui ont moins besoin de faire valoir leurs idées. Pour éviter cet écueil, il convient, ajoute-t-il, «d’encourager les sections de jeunes à fonctionner comme les partis traditionnels, en allant par exemple au contact des autres partis pour ne pas se complaire dans un entre-soi autour d’une position unique.»

“Quand je ne suis pas d’accord avec mes camarades de parti, je le dis clairement.”

Abdelmalek Saiah, PS Yverdon

Qu’en pensent les militants eux-mêmes? La problématique n’inquiète pas Abdelmalek Saiah, Vaudois de 16 ans: «Je ne ressens pas ce problème au PS. Quand je ne suis pas d’accord avec mes camarades de parti, je le dis clairement. Tout comme lorsqu’un autre parti partage une idée que je trouve bonne.» Pour lui, l’engagement des jeunes devrait même être reconnu via un droit de vote à 16 ans déjà. L’Yverdonnois justifie cette revendication par le fait que les jeunes «sont beaucoup plus conscients des enjeux importants, comme le climat et l’égalité, sur lesquels notre société doit se bouger», comme il l’écrivait en substance dans un billet publié le 18 mai dans 24 heures.

En tous les cas, l’abaissement de la majorité civique à 16 ans pose une question cruciale: celle de la maturité nécessaire à l’engagement politique. La frontière qui sépare les opposants et les partisans d’une telle mesure dessine les contours de deux visions opposées de «l’engagement jeune». Pour Cyrille Fauchère, «on a un déficit de maturité à 16 ans, qui fait qu’on ne peut pas appréhender certains sujets de société avec le recul nécessaire. On est encore en pleine formation professionnelle, mais aussi intellectuelle et émotionnelle». Une position qui tranche radicalement avec celle de la présidente du parti socialiste vaudois, Jessica Jaccoud, pour qui «le fait de considérer que les jeunes de 16 ans doivent être en mesure de chercher un travail, de trouver une place d’apprentissage, de gérer leur vie, tout en leur disant qu’ils ne sont pas matures pour voter, est une aberration totale. D’autant plus que les jeunes générations ont montré leur volonté de s’exprimer sur les sujets qui les concerneront dans le futur.»

Après un refus dans les urnes zurichoises à la mi-mai, les Bernois auront bientôt l’occasion de voter à leur tour sur le droit de vote dès 16 ans.

Commentaire

La question de l’engagement politique s’est posée pour moi lorsque j’avais quinze ans. J’étais, à l’époque, traversé par quelques velléités d’adhésion à un parti, que mes parents ont eu le bon sens de raisonner à temps. Du haut de mes vingt ans, je revois avec amusement ces ardeurs juvéniles, et j’observe avec une certaine circonspection les jeunes de mon âge qui ont fait ce choix du militantisme.

J’ose le dire: ces jeunes ne sont pas à leur place. Un adolescent, quoi qu’on en dise, n’a pas encore le recul nécessaire à l’engagement politique. Et ce pour une raison simple: il n’a pas encore pu faire l’expérience de la fragilité de ses propres convictions. Il est encore la victime de ce que les psychologues appellent «l’effet Dunning-Kruger», qui veut qu’un novice dans un domaine surestime nécessairement ses compétences, avant que l’expérience ne lui enseigne que le chemin de la maturité est encore long.
L’adolescence est encore l’âge de l’éducation, où l’on apprend l’engagement associatif, la fidélité à son club sportif ou à sa fanfare par exemple, le tout dans l’humilité et le respect des anciens. Les partis politiques qui s’appuient sur la détermination naïve des jeunes à s’engager se rendent coupables de les en empêcher, car ils en font trop tôt les adultes qu’ils ne peuvent pas encore être. AB




L’exemple concret d’un non-débat

Forum des médias de la RTS, le 8 mai: lors de l’émission titrée «L’avortement bientôt interdit aux états-Unis ?», le présentateur Mehmet Gultas introduit le sujet en parlant d’une «Annulation probable du droit à l’avortement aux états-Unis».

Le problème n’est pas tant l’objet du débat: l’équipe aurait tout aussi bien pu traiter de l’origine des pokémons ou, plus sérieusement, de la guerre en Ukraine. Le premier souci réside dans l’accroche donnée par le journaliste. Grégor Puppinck – docteur en droit, directeur de l’European Center for Law and Justice (ECLJ) – donne une tout autre interprétation, dans les colonnes de Valeurs Actuelles: «Ce projet d’arrêt ne déclare pas l’avortement contraire à la Constitution, comme le fit par exemple la Cour constitutionnelle polonaise en 2020, à propos de l’avortement eugénique: il rend au peuple et à ses représentants le pouvoir de trancher cette question, comme c’était le cas avant l’arrêt Roe v. Wade de 1973. Avec une telle décision, les États fédérés américains n’ont plus l’obligation de légaliser l’avortement, mais ils n’ont pas davantage l’obligation de l’abroger.» Une telle subtilité juridique ne sera à l’évidence pas proposée dans le cadre de l’émission, mais passons.

Autre fait saillant de cette discussion: les journalistes invités, Géraldine Savary (Femina) , Valérie de Graffenried (Le Temps) et Frédéric Autran (Libération) se révèlent unanimement choqués que la Cour Suprême songe à donner la possibilité aux États de choisir la ligne qu’ils souhaitent adopter en matière d’avortement. Et Frédéric Autran de déplorer: «Cela permet un revirement catastrophique 50 ans après l’affaire Roe v. Wade et cela pose la question de la représentativité et de la légitimité démocratique de la Cour Suprême.» Pour le journaliste de Libération, accorder davantage de liberté démocratique aux États serait nuisible à… la démocratie.

“Le Forum des médias n’est pas un lieu de débat contradictoire.”

Emmanuelle Jaquet, responsable communication et porte-parole pour la RTS

Au final, la discussion ne portera jamais sur les mécanismes démocratiques américains, mais uniquement sur les implications sociétales d’un éventuel renversement légal. Contactée à ce sujet, Emmanuelle Jaquet, responsable communication et porte-parole pour la RTS, botte en touche: «Nous avons choisi d’aborder une question d’actualité qui intéresse largement nos auditrices et auditeurs et pas de traiter ce thème, sous un angle émotionnel.» Elle n’estime pas non plus que ce type de discussion soit dommageable pour l’image de la RTS et des journalistes en général, qui, quand ils débattent, partagent généralement les mêmes opinions: «L’équipe de Forum, comme les autres rédactions de la RTS, abordent tous les sujets avec un même esprit critique et indépendant. Le Forum des médias n’est pas un lieu de débat contradictoire. Il s’agit d’une discussion entre journalistes livrant leur analyse ou leur point de vue sur des sujets d’actualité.»

Si certains politiciens que nous avons contactés ont préféré ne pas s’exprimer sur une tendance à l’uniformisation du message lorsque les médias traitent un thème sensible tel que l’avortement, Oskar Freysinger, ancien conseiller d’État valaisan UDC, ne se fait pas prier pour livrer son analyse: «Cela fait sept ou huit ans que je ne n’écoute plus la radio et que je ne regarde plus la télévision. Je n’ai pas envie de me faire sucer le cerveau tous les soirs.»

Pour l’ex-politicien, le journalisme relève de l’histoire ancienne : «Ce domaine est mort. Les journalistes sont des zombies qui ne savent plus que faire du copier/coller des différentes agences de presse. Par contre, ils n’hésitent pas à faire appel à des personnalités comme la mienne afin que j’envoie des missiles et, qu’ensuite, je puisse servir de punching-ball.»




L’outrage sur le métier

Sale temps pour les médias. Entre l’interdiction facilitée de la publication d’articles récemment décidée à Berne, une nouvelle offensive visant la RTS, ou la proposition d’obliger les journalistes à déclarer leurs intérêts, la profession fait face à un déluge d’attaques sans précédent de la part de la droite. Au cœur du malaise, cette critique selon laquelle des invités d’accord entre eux tiendraient souvent le haut du pavé, tandis que les intervenants moins progressistes, sans même parler de journalistes dissidents, seraient tenus à l’écart. « Cette orientation se ressent peu lors des émissions Forum ou du 19h30, mais au-delà, il n’y a plus de limites », précisait récemment le PLR Philippe Nantermod à nos confrères du Temps.

Dans le canton de Vaud, le coup de grâce vient d’être porté au Grand Conseil par une motion signée par une équipe mixte de PLR et d’UDC, et portée par l’agrarien Cédric Weissert. Le texte, qui n’est pas près de déboucher sur un résultat concret, demande la «transparence des deux côtés du miroir». Ainsi, les journalistes devraient à l’avenir déclarer leurs intérêts, au même titre que les députés en début de législature. «Ce n’est pas une attaque contre le journalisme, qui est un métier magnifique», assure l’auteur de la motion. De fait, il jure même qu’il aurait préféré ne pas devoir la rédiger. En secouant le cocotier, il entend simplement inviter les rédactions à rétablir un semblant d’équilibre idéologique, de manière à recréer le lien de confiance avec les consommateurs.

“J’ai ouï dire que parmi les nouveaux jeunes journalistes stagiaires, certains semblaient déjà très militants et qu’il fallait parfois leur rappeler quelques fondamentaux du métier pour demeurer crédibles.”

Frédéric Néjad, membre du conseil de fondation du Centre de Formation au Journalisme et aux Médias.

«Certains journalistes rétorqueront qu’être membre ou sympathisant cotisant de telle ou telle association à but non lucratif, social ou environnemental ne gêne pas leur objectivité au travail», réagit Frédéric Néjad, membre du conseil de fondation du Centre de Formation au Journalisme et aux Médias. Et de préciser : «J’ai ouï dire que parmi les nouveaux jeunes journalistes stagiaires, certains semblaient déjà très militants et qu’il fallait parfois leur rappeler quelques fondamentaux du métier pour demeurer crédibles. Ou quand le journalisme devient une autre façon de s’engager pour une cause, y compris noble…».

Entre idéalisme mal placé et pressions politiques ou économiques croissantes, pas sûr que l’âge d’or ne revienne de sitôt dans la branche.

Commentaire: Le prix de l’entre-soi généralisé

Une petite quinzaine d’années de journalisme dans les pattes, et pourtant, déjà le sentiment d’avoir vu passer tant de causes éternelles et sacrées… Des causes que certains collègues voulaient défendre frénétiquement au travers de leurs articles. La lutte contre la déforestation aux côtés de Greenpeace, autrefois, pour l’égalité animale aux côtés de militants vegans, par la suite. Et puis l’accélération : le réchauffement climatique, dès la fin de la dernière décennie, la vaccination contre le Covid et, enfin, les questions liées à ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui le genre. Doit-on s’en offusquer ? A la vérité, pas forcément. Nous-mêmes nous avons logiquement, durant notre carrière, travaillé les thèmes qui nous touchaient, tandis que nos confrères et consœurs s’étonnaient parfois que les questions que nous posions puissent intéresser quiconque. Ainsi en va-t-il de n’importe quel travail impliquant une solide dose de subjectivité, et le journalisme en fait partie qu’on le veuille ou non.

Déjà le sentiment d’avoir vu passer tant de causes éternelles et sacrées…

Qu’on nous pardonne, dès lors, de mobiliser une grille de lecture marxiste dans une revue que d’aucuns se plaisent à classer à droite : il nous apparaît en effet que le malaise actuel –celui que tentent de révéler les élus bourgeois – provient avant toute chose de l’homogénéité des profils travaillant dans ce milieu. En clair, d’une surreprésentation de la classe moyenne supérieure dans un métier censé s’adresser à toutes les couches de la population, y compris aux prolétaires. Même avec les meilleures intentions du monde, comment un enfant de la bourgeoisie pourrait-il réellement traduire les souffrances et les aspirations de milieux qu’il n’a jamais fréquentés, et qu’il apprécie souvent à condition de les côtoyer de très loin ? A ce titre, et sans nier la qualité de l’enseignement qui en découle, la transformation croissante du journalisme en science universitaire ne nous paraît pas porter avec elle que de belles promesses.




« Certaines conseillères d’État se sont montrées indignes de leurs fonctions »

C’est un mercredi un peu plus agité que d’habitude, surtout hors session, sous la Coupole fédérale. Tout juste de retour de Kiev, la fameuse délégation de parlementaires va bientôt débuter sa conférence de presse et Yves Nidegger, collègue de parti de Michaël Buffat, nous fait ses adieux tandis que nous nous apprêtons à quitter le bar pour une table. Sans grande surprise, le conseiller national vaudois n’optera pas pour le muffin vegan. Nous non plus. 

Trois semaines après le résultat des urnes, quel est votre état d’esprit ?

On est forcément déçu, quand on a raté une élection. Mais j’ai un œil qui rit et un œil qui pleure : je suis content que nous ayons pu renverser la majorité de gauche avec l’Alliance vaudoise, et je crois y avoir participé. D’un autre côté, j’aurais aimé continuer à porter ce projet avec mes colistiers. La population en a décidé autrement. C’est comme ça.

Vous pensez vraiment avoir «raté» cette élection ?

Logiquement, je n’ai pas réussi puisque je n’ai pas été élu.

Mais pouviez-vous réussir, surtout avec des villes clairement à gauche ?

C’est une bonne question. Je dirais que si on se lance dans une élection, c’est qu’on a la foi de pouvoir réussir. Moi je me suis lancé avec un projet pour le pouvoir d’achat des Vaudois. A l’évidence, je n’ai pas réussi à convaincre que je pouvais être la personne capable de le mener à terme, même si en tant qu’équipe, encore une fois, nous avons gagné. Ce qui me met du baume au cœur, c’est de savoir que les quatre personnes élues seront capables de construire l’avenir du canton. Pour le reste, je dois encore analyser les résultats des votes, mais il est vrai que nous avons un sacré potentiel d’amélioration dans les villes.

Parmi vos partenaires élues, il y a Valérie Dittli, du «Centre»…

Depuis le début de la campagne, nous savions que nos alliés PLR étaient quasiment assurés d’avoir leur siège, mais que nous deux devrions nous battre. La pire des situations aurait été que ni elle ni moi ne soyons élus. Sincèrement, je suis content pour elle : c’est une personne très compétente, solide, brillante (ndlr voir son portrait en page 5). On a eu un bon feeling depuis le début de la campagne. Je ne me fais pas de souci pour elle.

Pour vous, la campagne a été très dure. Vous avez été particulièrement ciblé. Vous l’avez vécu comment ?

Cela faisait partie du plan de la gauche dès le début des élections. En décembre, déjà, on m’avait averti que je serais l’homme à abattre. Cela s’est amplifié au vu des résultats du premier tour. Dès ce moment, il a fallu me coller dessus tous les adjectifs négatifs de la terre.

Parmi ceux-ci, il y a eu «climato-sceptique»

Oui, et que j’étais le parlementaire le plus à droite de la délégation vaudoise, aussi, ce qui n’est d’ailleurs pas compliqué comme UDC. On a aussi dit que j’étais d’extrême-droite, bref, tout ce qu’on peut dire pour décrédibiliser une personne. 

Y a-t-il des choses que vous ne pouvez pas pardonner ?

Peut-être que c’était une erreur de ma part, mais j’ai préféré faire le dos rond. Les critiques me paraissaient grotesques tant elles étaient extrêmes. J’aurais peut-être dû réagir un peu plus fort par moment. J’ai préféré défendre mon projet, sans m’abaisser à attaquer les personnes.

De toutes les critiques, laquelle vous a le plus touché ?

Comme politicien, j’ai appris à avoir le cuir épais, c’est surtout pour ma famille que certaines choses ont été difficiles à vivre. Je pense en particulier à des détournements qui nous visaient, Valérie et moi, sur Instagram. Ce que j’ai trouvé regrettable, c’est que des conseillères d’Etat en place se mêlent aux attaques basses. La présidente Nuria Gorrite, en particulier, a momentanément « liké » cette page dont certains éléments relevaient à mon sens du pénal. Ce n’est pas l’image que je me fais d’une personne à un tel poste, surtout quand son gouvernement investit massivement dans la prévention du harcèlement. Certaines attaques de madame Amarelle, dans la presse, m’ont également semblé indignes de sa fonction. En tout cas moi, je ne me suis pas laissé aller à faire ce genre de choses.

Ce que j’ai trouvé regrettable, c’est que des conseillères d’État en place se mêlent aux attaques basses.

L’avenir, pour vous, il est plutôt dans la politique ou dans le privé ?

On ne fait pas de politique pour poursuivre un plan de carrière. On en fait parce qu’on a ça dans les tripes, parce qu’on a besoin de défendre des idées. Je veux continuer. Si la question est : «Vais-je me présenter aux élections fédérales l’an prochain», la réponse est positive. Tant que j’aurai la foi de pouvoir être utile à mon pays, je continuerai.

N’y a-t-il pas des moments où vous vous dites que votre carrière professionnelle pourrait être plus riche sans un «frein» politique ?

Si on est du genre à calculer, on ne s’engage pas, et particulièrement pas à l’UDC. Il n’y a du reste pas que la carrière qui peut pâtir d’un tel mandat, il y a la famille également. Là, par exemple, je sors de trois mois sans l’avoir vue. Être en campagne, c’est rentrer à minuit pendant que ses proches dorment et repartir tôt le matin tandis qu’ils dorment encore. C’est une vie parfois éprouvante mais c’est plus fort que nous.




Ces cathos qui aiment l’ancien

Dans les années soixante, dans la foulée des réformes initiées dans l’Église catholique par le concile Vatican II, le pape Paul VI a amorcé un mouvement ayant pour but de modifier en profondeur les usages liturgiques catholiques. Cette réforme a abouti, en 1970, à la publication d’une nouvelle édition du Missel romain – livre qui réunit tous les textes et les indications nécessaires à la liturgie – incluant une refonte de la célébration de la messe, considérablement modernisée. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la «forme ordinaire» du rite romain, par opposition à la «forme extraordinaire» qui était en vigueur jusque-là sous le nom de rite tridentin.
Dans la foulée de ces réformes, certaines pratiques se sont largement répandues, comme l’utilisation systématique de la langue vernaculaire pour toutes les prières et les lectures de la messe, ou encore la communion debout et dans la main, plutôt qu’à genoux et sur la langue. On a également généralisé la célébration de la messe «face au peuple» et non plus ad orientem – en direction de l’Est, sens de construction habituel des églises. En effet, l’usage majoritaire jusqu’à ce moment-là était que le prêtre célèbre la messe en regardant dans la même direction que les fidèles, toute l’assemblée étant symboliquement tournée vers Dieu.
En réaction à ces évolutions, un mouvement dit «traditionaliste», défenseur de la messe traditionnelle, s’est développé au sein même de l’Église catholique. Il est désormais implanté dans de nombreux lieux, remédiant souvent au manque toujours plus marqué de prêtres catholiques. A Fribourg, par exemple, la Fraternité Sacerdotale Saint-Pierre – une communauté de prêtres traditionalistes – est responsable de la Basilique Notre-Dame de Fribourg, depuis de nombreuses années. On peut y voir des prêtres qui portent encore la soutane célébrer la messe selon le rite tridentin, en latin, accompagnée le dimanche par des chants grégoriens.
Étonnamment, ce retour à la tradition, à l’ancien, semble attirer tout particulièrement la jeunesse. «Incontestablement, une des premières choses que l’on remarque lorsqu’on se rend à la messe traditionnelle, c’est le nombre de jeunes», affirme Tanguy, jeune catholique jurassien de 29 ans. «Je fréquente aussi les messes en rite ordinaire, mais j’y suis souvent le seul paroissien en dessous de 50 ans. La différence est flagrante», continue-t-il. Guillaume, la vingtaine, fréquente aussi régulièrement la messe traditionnelle. Il fait à peu près le même constat: «A la messe du dimanche à la Basilique de Fribourg, l’église est pleine, et en grande partie remplie de jeunes et de familles.» Pour lui, c’est une évidence: «Il y a un vrai mouvement de la jeunesse autour de la forme extraordinaire du rite romain.»
Comment expliquer ce phénomène? Les jeunes interrogés semblent tous d’accord sur un point: la messe traditionnelle offre des repères dans la pratique de la religion. Comme le note Simon, un autre jeune fidèle de la Basilique de Fribourg, les messes traditionnelles, parce qu’elles sont très codifiées, offrent une stabilité et donc une certaine paix, importante pour de nombreuses personnes. En outre, c’est aussi un sens du sacré que les jeunes trouvent dans la célébration du rite tridentin: «Le soin, l’attention, la minutie du prêtre et des servants dessinent les contours du mystère imperceptible pour nos sens, pourtant bien présent», détaille Tanguy, pour qui le rituel très strict de la messe traditionnelle «pousse à se questionner sur la signification des gestes de la liturgie».
Mais au-delà de la liturgie, ces jeunes semblent néanmoins accorder une importance cruciale au fait que les gestes, les codes, ne doivent pas être, et ne sont pas la fin ultime de la pratique religieuse. Ils doivent s’ancrer dans une vraie vie spirituelle, qui ne se réduit pas à des questions de forme. La liturgie traditionnelle, selon eux, est d’abord un vecteur de la foi. Sans la foi, elle n’aurait aucun sens.

Antoine Bernhard est rédacteur pour «Le Regard Libre».
leregardlibre.com




Édito: en route vers la révolution lacrymale

D’abord ne pas tomber dans le panneau: la rénovation du parc immobilier suisse constitue sans doute un enjeu important, et il est admirable que des personnes d’horizons divers aient choisi de consacrer leur énergie à un dossier si technique, dont ils maitrisent certainement tous les enjeux. D’autres individus, dans notre société, s’engagent contre la précarité (y compris à travers des angles surprenants comme la précarité menstruelle), contre les souffrances des mères célibataires, contre les méfaits des addictions… Autres causes tout aussi honorables, chacun en conviendra, mais qui ne conduisent pas leurs défenseurs à empêcher la population de se rendre au travail en bloquant des autoroutes sous l’œil bienveillant des
journalistes de notre télévision d’État.

Entre tyrannie de l’émotion et révolte adolescente, les modes d’action et de
communication de ces activistes traduisent un affaiblissement du sens politique inquiétant.

Le Peuple

Dans ce premier numéro, nous avons notamment choisi de nous pencher sur le phénomène «Renovate Switzerland». Non pas que les objectifs du mouvement, visant à «sauver des vies» selon son ambitieuse description, nous soient foncièrement déplaisants. Simplement, entre tyrannie de l’émotion et révolte adolescente, il nous apparaît que les modes d’action et de communication de ces activistes traduisent un affaiblissement du sens politique inquiétant. Nous vivons dans un système de démocratie directe: il a certainement ses faiblesses mais il présente l’avantage de permettre à tout un chacun de briguer un mandat pour porter, sans danger pour sa sécurité et celle d’autrui, ses préoccupations dans des lieux de décisions politiques. Or que font ces activistes, dont la seule autorité repose sur le fait d’être «très inquiets» pour leur futur, pour l’avenir de leur famille, ou alors d’être des «grands-papas» et des «grand-mamans» (notez le niveau de langage infantilisante) préoccupés? Ils défient l’Etat en se collant la main sur des autoroutes, c’est-à-dire en faisant une grosse bêtise pour laquelle on gronderait n’importe quel enfant. Puis ils demandent à ce même Etat de venir les secourir (via des ambulances fonctionnant avec un moteur) et, ultimement, d’accéder à leurs revendications.

Quelque chose ne va pas très bien dans la santé morale d’un peuple quand se comporter comme un enfant capricieux, prompt à pleurer devant les caméras pour imposer sa cause, permet de peser sur le débat politique. La chose peut sembler surprenante, mais l’on viendrait parfois presque à regretter Extinction Rebellion, dont les militants avaient au moins pour eux de ne pas se liquéfier après chaque action choc. Les enjeux écologiques sont importants, et méritent mieux qu’une révolution lacrymale.




Houellebecq, un chrétien de notre temps

Céline du rayon surgelé, l’auteur d’«Anéantir» est surtout un catholique contrarié, affirme une étude des soubassements théologiques de son œuvre. Décapant. Par Raphaël Pomey

Pour ceux qui voient uniquement en Houellebecq le chantre d’une sexualité triste, l’idée qu’il puisse représenter «une des voix catholiques les plus authentiques de notre temps» peut surprendre, voire choquer. Pourtant, c’est ce que démontre un ouvrage collectif, «Misère de l’homme sans Dieu», paru cette année chez Flammarion, dans le sillage de son dernier roman. Étude pointue de son rapport à la foi, l’ouvrage nous dresse le portrait d’un «amant malheureux de la religion». Un amant bien incapable de croire, hélas pour lui, mais qui se montre néanmoins nostalgique du rôle de «ciment social» que le christianisme jouait dans nos pays. Pays où règne désormais, selon lui, un individualisme corrosif. Ne déclarait-il pas déjà en 1998: «Je ne crois pas à la possibilité de société sans religion. L’idée de société et l’idée de religion sont pour moi identiques»? Auteur classé à droite, souvent en raison de provocations destinées à faire la promotion de ses livres, Houellebecq n’en est pas moins à la recherche d’un «rempart contre le libéralisme», souligne l’étude.

Peu importe la doctrine, pourvu qu’on ait la consolation

Doit-on, à sa suite, espérer la naissance d’une religion pouvant cohabiter avec la froide rationalité moderne, ou tenter de ressusciter une «société organique» soudée par la foi? Sans réellement trancher, le dernier roman de Houellebecq, «Anéantir», ouvre une voie pour le moins inattendue : on y découvre une femme aux croyances un peu farfelues (elle est plus ou moins adepte de la Wicca, religion new age) qui permet au héros principal, chrétien de tradition, de se préparer à la mort avec un minimum de sérénité, et avec les plaisirs de la chair comme ultimes sacrements. Peu importe la doctrine, pourvu qu’on ait la consolation, en somme.

Pour un nouveau pari pascalien
De la double lecture du dernier roman de Houellebecq et de l’ouvrage consacré à sa théologie, un regret s’impose: que seuls les bénéfices sociaux de la religion apparaissent sous sa plume, sans que la foi pure, celle des enfants, semble une option pour ce positiviste de conviction. A cette aporie, un autre scientifique, Pascal, avait répondu par un pari. Celui de tenter l’espérance, même à partir d’un postulat agnostique, voire athée. «Espérer contre toute espérance», comme l’avait déjà écrit saint Paul en Romains, 4, 18. Peut-être une voie pour notre temps?




Elle a mis les Vaudois dans ses petits souliers

La survie en politique passe sans doute par la capacité à placer l’urgence avant les sentiments. À ce jeu-là, Valérie Dittli fait déjà montre d’une certaine maturité puisque c’est sans elle que nous avons dû nous résoudre à rédiger ce portrait au début du mois. Contexte politique étouffant, répartition hyper-complexe des rôles au sein du futur Conseil d’État, surveillance de l’inévitable service comm’… Il faut dire que la rentrée s’annonçait chargée pour la future ministre d’origine zougoise. Pas facile, d’un moment à l’autre, de reconfigurer une jeune existence pour les cinq prochaines années.

«Une centriste zougoise, par définition, est plus conservatrice que bien des UDC vaudois»

Un élu agrarien

Arrivée sur la scène politique vaudoise en 2021, la native d’Oberägeri incarne une droite décomplexée, dont l’étiquette politique est jugée trompeuse par certains: «Une centriste zougoise, par définition, est plus conservatrice que bien des UDC vaudois», glisse un élu du parti agrarien. Ses adversaires, durant la campagne pour l’exécutif, ne s’embarrassaient pas de tant de subtilités, eux qui la dépeignaient tranquillement en «réac» sur les réseaux sociaux. Mais plus que son positionnement politique, influencé par sa pratique du droit, c’est la poigne de la future édile qui a rapidement fait sa renommée: «Il fallait du courage pour pousser Neirynck et Béglé vers la sortie, admet un élu de gauche, je ne crois pas que beaucoup de gens auraient été capables d’en faire autant à son âge» (29 ans, 28 au moment des faits). Au micro de la RTS, Jacques Neirynck avait alors dénoncé «un jeunisme peu respectueux des anciens». Un jugement qui, à l’évidence, n’aura pas retourné l’électorat contre la présidente de l’ex-PDC.

Une bonne camarade
De la poigne, donc, et un certain sens de l’opportunisme. Sympathique et bonne camarade au quotidien, la future ministre s’est plusieurs fois illustrée par sa capacité à prendre tout l’espace disponible en débat télévisé. Un show dans lequel elle semble se lancer sans grande appréhension concernant la qualité, remarquable pour une deuxième langue, de son français. Reste une question: comment gouverner sans groupe politique derrière soi au Grand Conseil, et en portant les couleurs d’un parti qui se trouvait en grandes difficultés jusqu’aux dernières élections? Interrogé sous la Coupole fédérale (voir page 5), son colistier malheureux Michaël Buffat, emballé par la campagne menée à ses côtés, ne se montrait pas du tout inquiet. C’est d’ailleurs au sein de l’Alliance vaudoise que certaines de ses idées, comme la réalisation de vidéos décalées et plus ou moins réussies sur TikTok, ont fait émerger le visage d’une femme qui n’a peur ni de faire sourire, ni du succès. Une impression renforcée par son choix de baskets blanches, détonnantes face aux talons vertigineux de certaines de ses collègues.

Comment se déroulera sa vie de ministre ? Souvent alimentées par une condescendance à peine masquée, les prédictions apocalyptiques abondent. «Elle va exploser en vol», entend-on souvent, comme si la jeune femme ne devait son élection qu’au hasard, et pas un minimum à son talent propre. Chez ceux qui ont appris à la découvrir en campagne, le pronostic, quel qu’il soit, est généralement bien moins définitif. Reste à voir, désormais, si Valérie Dittli gouvernera en chaussures velcro.




Le Peuple? Racines et ouvertures…

«Le Peuple? Certainement un média de la gauche ouvrière et révolutionnaire! Pourquoi? Parce que dans toute l’Europe, il y a des maisons du Peuple qui véhiculent ces valeurs détestables!»
Le Peuple. Un nom difficile à porter pour un nouveau média! Difficile, car il est associé à des idéologies que tout oppose. Un nom prometteur aussi. Car après Dieu, il est le premier de la constitution fédérale.
«Au nom de Dieu Tout-Puissant! Le peuple et les cantons suisses…»
Les Suisses ne sont pas les seuls à avoir placé «le peuple» au début de leur texte fondateur. Ainsi, la constitution américaine commence par ces mots: «We the People of the United States…».
J’entends déjà des railleurs dire: «Le peuple américain? Nous savons tous qu’il est profondément divisé entre démocrates et républicains. Ce n’est pas un exemple!»
Et j’entends d’autres murmurer : «La référence à un Dieu Tout-Puissant dans la constitution suisse? C’est parfaitement anachronique. Et puisque Dieu n’y a pas sa place, le peuple non plus!»
Et si au contraire «Dieu» et «le peuple» y avaient toute leur place ? Encore faut-il s’entendre sur le sens de ces mots.
Le préambule de la constitution fédérale commence par l’invocation du «Dieu Tout-puissant» et se termine par cette affirmation: «…la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres». Comme le rappelle la croix du drapeau suisse, en référence au Christ crucifié et ressuscité, la puissance de Dieu est celle qui permet au plus faible de sortir de son malheur. Seule cette toute-puissance au cœur de la faiblesse a une place dans nos vies. Tout autre «Dieu» est
dangereux.
Le peuple suisse, comme tout autre peuple, est une communauté plurielle avec des racines communes et des ouvertures à vivre. Dans la Bible, texte fondateur de la Suisse et de l’Occident, il est très souvent fait référence à «Dieu» (theos) et au(x) «peuple(s)» (laos), aux fondations et aux finalités, à savoir la liberté et la convivialité.
Le Peuple? Oui! Puisse ce nouveau média, au-delà des images caricaturales sur les partis de droite et de gauche, prendre au sérieux les racines et les ouvertures dont tout le peuple suisse a vitalement
besoin!
Shafique Keshavjee est théologien, auteur et pasteur.




Le PS Suisse et le coup de la grande dixence

«Est-ce qu’on est bien sur la page Facebook du PS Suisse?». Voici, en substance, le cœur des réactions suscitées par un message publié le 22 avril dernier sur le réseau social. Dans le contexte du duel Macron-Le Pen, la formation politique appelait à se rendre aux urnes «pour une France antifasciste». Et le PS de préciser: «Si l’extrême-droite arrive au pouvoir, les fondements de la démocratie et de l’État de droit seront en danger. Évitons que l’abstention serve ses intérêts. Votez Macron, faites barrage à l’extrême-droite.» La fin du message, toutefois, masquait difficilement un certain malaise à l’idée de soutenir l’ancien banquier d’affaires: «S’il est élu, il sera possible de combattre toute attaque contre l’État social et la démocratie dans les institutions.» Comprendre: Macron n’est pas le roi des bons types, mais au moins il n’est pas totalement un dictateur, contrairement à son adversaire.
Ces recommandations font dresser les cheveux sur la tête de Yohan Ziehli, collaborateur scientifique de l’UDC Suisse: «Si Madame Le Pen avait été élue, nous nous serions retrouvés avec un parti gouvernemental qui aurait fait face à une personne qu’il avait traitée de fasciste au préalable. Cela me semble inadmissible en matière de bons offices et montre une nouvelle fois que le Parti socialiste est déterminé à miner toute neutralité helvétique, toute capacité, aussi, à jouer notre rôle historique de médiateurs.»
Jean Romain, député PLR genevois, est moins radical, si l’on peut dire. Ce qui ne l’empêche pas de jeter un regard amusé sur les contradictions intrinsèques d’un tel appel: «La posture politique ne m’intéresse guère, c’est la posture idéologique qui me semble curieuse. On peint le diable sur la muraille et derrière on soutient un opposant politique.» Il lui semble en effet assez «cocasse» que le PS appelle à voter pour un représentant de la droite orléaniste alors que Marine Le Pen est politiquement davantage tournée vers les nécessiteux que son rival, à ses yeux.
«Je suis membre d’un parti qui se veut profondément internationaliste, conclut Pierre Dessemontet, «co-syndic» socialiste d’Yverdon-les-Bains: «Je le suis moi-même: je me sens éminemment européen, et quand bien même mon pays a choisi de ne pas rejoindre le processus d’intégration européenne, c’est un point où je suis fondamentalement en désaccord avec lui. Je me sens profondément concerné par ce qui se passe, politiquement, dans les pays européens, et plus encore quand c’est le grand pays voisin avec qui nous avons tant de choses en commun, à commencer par l’histoire.»
Un point de vue forcément partagé par le co-président du parti et conseiller national argovien Cédric Wermuth: «Se prononcer sur les affaires politiques d’autres pays ne date pas d’hier, surtout lorsqu’elles ont un impact potentiel sur la politique internationale. En l’occurrence, les liens de madame Le Pen avec des banques proches du Kremlin inscrivaient cette élection dans le contexte international.» Il précise bien que le PS a appelé à voter Macron non pas par conviction politique, «mais bien pour appeler à faire barrage à l’extrême-droite. Chaque alternative démocratique est meilleure.»
Ingérence ou non? Le débat dépasse le cadre des élections présidentielles, et s’inscrit dans un changement de perception de la notion de neutralité suisse. Un mot, en tout cas, semble de plus en plus avoir fait son temps: «faire barrage». Comme en rigole l’humoriste français Franjo, «maintenant on fait barrage tous les cinq ans; apparemment on est devenus des castors.»