Agora : précisions sur notre analyse de la RTS

17 décembre 2025 — par Raphaël Pomey

Une semaine après avoir rendu public notre observatoire en temps réel de la RTS — actuellement centré sur les principales émissions d’information de La Première — le constat est paradoxal. Le traitement médiatique s’est jusqu’ici révélé très discret, pour ne pas dire quasi inexistant, tandis que les questions, elles, continuent d’affluer. Principalement sur les réseaux sociaux, et assez fréquemment de la part de journalistes de la RTS eux-mêmes.

Le projet ne leur est donc pas inconnu. Il n’a simplement pas trouvé place à l’antenne. Soit. Puisque le débat a lieu ailleurs, répondons-y ici, calmement, point par point. Précision : nous abordons aussi des questions qui nous sont parvenues par des canaux privés.

Qui a financé Agora ?

C’est de loin la question qui nous a été le plus souvent adressée en bilatéral.
Réponse : personne.

Au Peuple, nous avons toujours lancé nos projets sur une base volontaire, pour enrichir le débat public, sans jamais être téléguidés par quiconque. Des dons nous parviennent aujourd’hui par le biais de notre site — et nous en remercions sincèrement les auteurs — mais ils servent, à ce stade, uniquement à faire fonctionner l’outil, qui comporte des frais techniques.

Votre analyse dit-elle que « la RTS est de gauche » ?

Non. Et ceux qui résument nos résultats ainsi n’ont manifestement pas lu le rapport.

L’orientation observée est faible dans son intensité et très éloignée de toute caricature du type « il n’y aurait que des gauchistes à la RTS ». Les journaux factuels, notamment, restent globalement équilibrés.

Il convient toutefois de préciser que nous n’avons volontairement pas inclus certaines émissions ouvertement progressistes dans le périmètre de notre étude, préférant nous concentrer sur les contenus principalement informatifs.

Alors que montre concrètement votre analyse ?

Elle montre surtout une chose : un cadrage légèrement favorable aux positions de gauche, constant dans le temps. Sur l’ensemble du corpus analysé en 2025 (analyse détaillée en accès libre sur Agora, en tête du site), seules quatre émissions sur 1’333 présentent une orientation inverse marquée.

Mais peut-on vraiment résumer le journalisme à un axe gauche–droite ?

Non. Et nous ne l’avons jamais prétendu.

Le journalisme ne se résume évidemment pas à un curseur idéologique bidirectionnel. Il est fait de contraintes professionnelles, de formats, de temporalités, de compétences individuelles et de choix rédactionnels complexes. Réduire le journalisme à une note serait absurde.

Pourquoi alors tenter une mesure ?

Parce que refuser toute tentative de mesure au motif que le réel est complexe revient à abandonner le débat aux impressions. Agora ne prétend pas dire ce que doit être le journalisme. Il documente certains cadrages récurrents et certaines asymétries statistiques, sur un corpus large et sur la durée. Il s’agit d’un outil descriptif, pas normatif.

Qualifier un cadrage de « gauche » ou de « droite », est-ce un jugement moral ?

Non.

Dire qu’un cadrage est aujourd’hui majoritairement associé à une sensibilité de gauche ne signifie ni qu’il est illégitime, ni qu’il est faux, ni qu’il serait « mauvais ». Il existe du très bon journalisme progressiste, comme il existe du mauvais journalisme conservateur — et inversement.

Votre travail hiérarchise-t-il les causes ou les combats ?

Non. Il observe des régularités : quels sujets sont fréquemment mobilisés, avec quels angles, et quels contre-cadrages sont présents — ou absents.

Mais le journalisme n’est-il pas, par essence, un contre-pouvoir ?

Bien sûr. Et c’est précisément pour cela qu’il mérite d’être observé.

Contre-pouvoir… mais par rapport à quoi ?

Si l’on part du principe que le contre-pouvoir journalistique s’exerce prioritairement face à une domination politique et économique située à droite, alors beaucoup des cadrages observés relèvent effectivement du cœur du métier.

Mais si l’on adopte — ce qui exprime aussi une sensibilité légitime — une lecture selon laquelle il existe aujourd’hui une forte pression fiscale et normative, une insécurité diffuse, ou des contraintes croissantes sur certaines libertés (de culte ou d’expression, notamment), alors force est de constater que ces enjeux font beaucoup moins l’objet d’un traitement structurant.

C’est cette asymétrie de cadrages que nous documentons. Pas la noblesse — ou non — des combats.

Votre analyse 2025 souligne que la pluralité vient souvent des invités. N’est-ce pas normal puisque les journalistes de la RTS ne donnent pas leur avis ?

Ce point mérite d’être nuancé. Nous observons que, dans certaines émissions — par exemple Tout un monde ou certains contenus religieux — le positionnement est tout de même systématiquement marqué à gauche. De plus, il n’y a pas besoin qu’un journaliste donne son avis pour qu’un contenu soit idéologiquement coloré : l’orientation passe souvent par l’anglage, le choix des questions et les évidences implicites. Sur la RTS, la pluralité existe, mais elle est le plus souvent apportée par les invités (Christian Lüscher aux Beaux Parleurs, typiquement), tandis que le cadre journalistique reste relativement homogène.

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Agora est un projet indépendant, bénévole à son origine, qui repose sur une méthodologie publique et reproductible.
Les dons reçus ne financent pas une ligne éditoriale : ils permettent de couvrir les frais techniques, de garantir l’indépendance de l’outil et d’envisager son extension — notamment à l’analyse de la RTS télévision.

Si vous estimez que le débat public gagne à être nourri par des faits plutôt que par des impressions, vous pouvez soutenir Agora via notre site.

Pourquoi l’IA ? Peut-on lui faire confiance ?

L’intelligence artificielle ne pense pas, n’a pas d’opinion et ne « vote » pas. Elle applique une grille d’analyse que nous avons définie, rendue publique, et que chacun peut discuter ou reproduire.

Que permet l’IA concrètement ?

Elle permet de traiter un volume de données impossible à analyser manuellement, de manière constante et reproductible. Elle ne remplace pas le jugement humain ; elle permet de documenter ce que l’intuition seule ne suffit pas à établir. En ce sens, elle peut nourrir un débat public qui préexiste largement à Agora, notamment dans le contexte de la votation à venir sur la redevance à 200 CHF.

Et maintenant ?

L’infrastructure développée pour Agora ne se limite pas à l’analyse de la radio. Elle peut être mobilisée pour d’autres médias, des thématiques précises, ou des audits médiatiques personnalisés.

Résultat global en matière de cadrage de 1601 émissions (au 17 décembre 2025).

Une extension à la télévision est-elle envisagée ?

Oui. Une analyse systématique de la RTS télévision représenterait, selon le périmètre retenu, un investissement compris entre 10’000 et 15’000 francs. Nous préférons être transparents sur ces montants.

Que faites-vous avec les dons que vous recevez ?

Les dons reçus jusqu’ici ne « financent pas une ligne », ils sécurisent un outil. Ils permettent de garantir son indépendance et d’envisager son développement.

La question est désormais simple : voulons-nous, collectivement, disposer d’un observatoire rigoureux du service public audiovisuel, ou préférons-nous continuer à en débattre uniquement sur la base d’impressions ?

Quoi qu’il advienne, Agora aura au moins rempli une fonction : ramener un débat souvent émotionnel sur le terrain des faits. Et c’est déjà beaucoup.